Matagalpa Colectivo de Mujeres

dimanche 20 février 2005.
 

MATAGALPA, 20 fevrier 2005

Bonjour a tous,

Nous venons de passer trois semaines a Matagalpa, petite ville au nord de Managua, c’est ici que nous poursuivons le tournage du documentaire radiophonique, le camino sacapunta sonore que vous decouvrirez a notre retour en France (dans quelques mois).

En arrivant, nous savons peu de chose de la situation a Matagalpa et avons une tres vague idee de la route que prendra le tournage. Nous venons rencontrer le collectif de femmes qui anime depuis 1986 des programmes radiophoniques et depuis l’annee derniere sa propre radio associative La radio Vos. Un profil qui ne cadre pas exactement avec notre definition du medium communautaire mais les bons echos qui nous arrivent a Managua et l’envie de rencontrer le collectif de femmes finissent de nous convaincre.

A Matagalpa nous sommes heberges chez Marta, une catalane qui travaille au collectif depuis 3 ans. A chacune de nos etapes nous rencontrons des gens merveilleux, riches de leur generosite, de leurs espoirs et je crois que parfois cela suffit a donner un sens a ce voyage. Marta est pedagogue et nous presente a l’equipe education du collectif, dirigee par Eva qui nous plante le decors : « la situation educative du pays est completement cahotique ». Les chiffres sont effrayants, en ville 32% de la population est analphabete, dans les campagnes, on atteint 52%. L’autre facteur alarmant est le nombre d’enfants descolarises, 1 million dans un pays qui compte 5,5 millions d’habitants. Mais les chiffres ne disent pas tout, surtout au Nicaragua ou comme nous l’explique Eva : « Nous ne savons meme pas combien nous sommes, de nombreux parents ne declarent pas leurs enfants, ils n’ont ni acte de naissance, ni etat civil et ne sont bien evidemment pas scolarises. »

L’actualite de la rentree des classes ainsi que les temoignages que nous glanons du cote de Matagalpa nous permettent de mieux comprendre la situation. Au Nicaragua, comme semble-t-il dans de nombreux pays d’Amerique Latine, le systeme educatif est clairement a deux vitesses ; il y a le prive, pour ceux qui ont les moyens et le public pour les autres c’est a dire la tres tres grande majorite. Dans le prive ca roule, pas de vague. Dans le public c’est une autre histoire, theoriquement l’ecole est gratuite et non obligatoire mais dans les faits, les etablissements scolaires sont tellement pauvres qu’ils doivent sans cesse demander de l’argent aux familles pour acheter du papier, des produits d’entretiens, payer des photocopies...il n’y a pas de manuel scolaire, il manque des tables, ou des chaises ou les deux. Une penurie generalisee a laquelle s’ajoute un absenteisme chronique des professeurs. A qui la faute ? Depuis trois semaines, les enseignants sont en greve, ils reclament entre autre une augmentation de salaire ! Un instituteur du public gagne 1500 cordobas (72 euros) par mois, un des salaires les plus bas avec ceux de la sante publique. La mobilisation est totale mais face a l’arrogance du gouvernement les negociations ont ete longues, jusqu’a un accord trouve hier portant le salaire a 2200 cordobas (105 euros), ce qui equivaut a la moitie du panier basique mensuel (nourriture, logement, education, sante) d’une famille de 6 personnes.

De l’autre cote du miroir education, il y a les familles qui a chaque rentree des classes doivent se sacrifier pour pouvoir acheter le materiel scolaire et l’uniforme de leur enfants. Nous discutons de ce probleme recurrent avec Daisy, mere de 5 enfants, il y a 3 ans elle travaillait encore comme saisonniere dans les grandes haciendas de café, pour survivre elle emmenait ses 3 enfants les plus ages travailler avec elle, l’ecole etait alors une chose inimaginable. Aujoud’hui, la situation de Daisy s’est amelioree, elle fait partie d’une cooperative de tissage artisanal soutenu par le collectif des femmes de Matagalpa. Grace a ce travail stable et mieux remunere, ses deux derniers enfants sont scolarises et peuvent envisager de poursuivre leurs etudes. Mais certaines familles ne peuvent meme pas assumer le cout de la scolarisation d’un seul enfant, elles ne peuvent pas comprar los zapatos (la paire de chaussures noires obligatoire !) donc les enfants ne peuvent pas aller a l’ecole. J’ai du mal a comprendre ce paradoxe qui veut qu’un gouvernement irresponsable comme celui du Nicaragua delaisse l’education de ses enfants mais impose le port de l’uniforme qui exclu un bon nombre d’entres eux.

Au milieu de ce sombre tableau, plusieurs femmes ont evoque dans leur recit La Cruzada Nacional de Alfabetizacion, qui s’est deroulee au tout debut de la revolution sandiniste, comme un age d’or de l’education dans le pays, une priorite nationale du tout jeune gouvernement populaire. Nous questionnons Eva sur le sujet, elle nous repond en vrai professionnelle de l’education mais en y ajoutant les souvenirs de sa propre experience : La croisade s’est deroulee de mars a aout 1980, en cinq mois plus de 400 000 personnes ont appris a lire et a ecrire. Le taux d’analphabetisme est passe de 50% a 12,96%. Ce travail a ete rendu possible grace a l’engagement de 95 000 volontaires, la majorite etudiants. A 17 ans, Eva etait membre de l’armee populaire d’alphabetisation, organe national de coordination des volontaires, « pour la majorite d’entre nous, c’etait la premiere fois que nous nous sentions capables et libres d’agir pour transformer notre societe. Ce fut une grande experience qui nous a ouvert l’esprit. Tout le monde etait gagnant. C’etait un moment d’echanges, d’apprentissages, la possibilite de connaitre reellement notre pays, de nous rencontrer entre nicaraguayens ». La croisade etait un mouvement populaire qui a largement depasse sa mission d’alphabetisation, les jeunes volontaires participaient egalement a la vie de la communaute, realisant des travaux agricoles, construisant des infrastructures (ecoles, routes...). Pour la premiere fois, le Nicaragua a pu effectuer un recensement de sa population et etablir un diagnostique precis de la situation sociale du pays.

Le recit d’Eva me fait souvent penser au Venezuela d’aujourd’hui, a l’energie qui se deploit la-bas dans les barrios et les campagnes. Au Nicaragua il ne reste que le souvenir de la Cruzada, pour Eva « il n’existe pas de volonté politique qui permette d’inverser la dynamique actuelle » mais l’expérience de la Cruzada reste un modèle qui lui permet de nous dire « Tout est possible puisque une fois nous avons réussi. »

Prochaines nouvelles depuis le Guatemala, nous sommes sur le depart. Abrazos fuertes, Elsa.


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