Comunidad Popular en resistancia - Peten

vendredi 8 avril 2005.
 
Lorsque nous arrivons dans le Peten, la region nord du Guatemala, nous ne savons quasiment pas ou nous mettons les pieds et encore moins qui nous allons rencontrer

Lorsque nous arrivons dans le Peten, la region nord du Guatemala, nous ne savons quasiment pas ou nous mettons les pieds et encore moins qui nous allons rencontrer, mais les jours passent, deja une semaine a Ciudad Guatemala, il faut se decider vite, de toute facón c’est la route pour le Chiapas. Nos renseignements pourraient se resumer par “il existe depuis novembre une radio communautaire du cote de Santa Elena, issue de mouvements sociaux, en lutte contre le TLC (traite de libre commerce) et le PPP (plan puebla panama)”. Je vous livre les informations de maniere desordonnee telle que nous les avons recues et parce que ici les elements importants de l’histoire sont a denicher dans les non-dits, les silences ou les details insignifiants. Peut on comprendre ces premiers mots retenus en rappelant les traumatismes des annees 1980 et les menaces encore presentes pour les communautees et mouvements organises.

C’est donc par petit bout, par recoupement, par deduction, que nous arrivons a demeler l’histoire du village dans lequel nous arrivons le 16 mars 2005 : “La comunidad popular en resistancia del Peten, CPR-P Salvador Fajardo”.

mais avant, un peu d’histoire du Guatemala

En 1944 : enseignants, etudiants, ouvriers et secteurs minotaires de la bourgeoisie se mobilisent contre le regime du general Jorge Ubico. La mobilisation populaire conduit le pays a une greve generale et a la chute du dictateur. Le 20 octobre de la meme annee, un gouvernement provisoire est nomme et organise des elections democratique qui porte au pouvoir l’humaniste Arévalo. Le Guatemala entame 10 annees de revolution douce qui apporte au pays des changements sociaux jamais vus : droit de greve, droits syndicaux, liberte d’expression, constructions d’hopitaux et d’ecoles, diversification agricoles... En 1950, le nouveau gouvernement elu d’Arbentz Guzmán poursuit les reformes entamees par Arévalo, il developpe une politique nationale de progres social et de lutte contre la pauvrete. 1952, Arbentz lance une reforme agraire en vue de moderniser la production et d’ameliorer la vie des paysans (la majorite de la population). Cette loi met fin a toutes les formes de servitudes qui avaient cours, par exemple “ le pret gratuit d’ouvriers agricoles entre les fincas” qui maintenaient la classe paysanne dans une situation d’esclavage, heritee de la colonisation espagnole. La reforme agraire prevoit egalement la redistribution des terres : en 1951, 70% des terres etaient aux mains de 2.2% de la population, les finqueros, grands proprietaires descendants d’espagnols.

Les avancees revolutionnaires du gouvernement d’Arbentz le precipite dans “l’axe du mal” de l’epoque, il devient la cible principale de la lutte anti-communiste des gringos. En 1953, toute aide etatsunienne est stoppee, la machine infernale commence : blocus, pressions politiques, campagnes mediatiques, propagande aggressive... “le jour de la liberation, ceux qui soutiennent Arbentz mouront, ceux qui aident la resistance patriotique vivront. Vient le grand jour, Choisissez !” tract distribue par avion en 1954 dans le cadre de l’operation “Exito (succes)” orchestree par la CIA.

Tandis que la situation du pays ne cesse de s’agraver, l’oposition guatemalteque s’organise, toujours avec le soutien des USA. En 1954, Arbentz est contraint a la demission et a l’exil. Une fois de plus l’histoire semble se repeter en Amerique Centrale.

Depuis ce jour, le Guatemala ne gouverne plus sans le controle des USA, la fin de la revolution marque le debut de la main mise du pouvoir par les militaires. Deslors commence les repressions, elles iront croissantes dans l’horreur.

Leaders syndicaux, opposants politiques, etudiants, intellectuels sont les premieres victimes, puis viennent les massacres de population civile accusee de “subversion” et de soutenir la guerrilla qui s’organise dans les annees 60. Le 23 mars 1982 un coup d’etat porte au pouvoir une junte militaire dirige par le general, evangeliste Efrain Rios Montt. Le nouveau pouvoir reactive les escadrons de la morts, nes au milieu des années 60 dans le cadre d’une formation antiterroriste dispensée par le conseiller en sécurité étasunien John Longon.

Rios Montt instaure une nouvelle strategie pour mettre fin a la guerrilla et etablir “un controle plus efficace de la population indigene” (60% de la population du Guatemala). Le pays plonge dans l’horreur : assassinats, tortures et enlevements s’intensifient, la politique de “tierra arrasada” (terres brulees) entre en action. En 1984, la folie de Rios Montt fait peur aux USA et souleve les protestations de la communaute internationale, un nouveau coup d’etat le chasse du pouvoir. Le bilan de son gouvernement est effrayant : plus de 300 massacres de villages mayas, plus de 16 000 morts et disparitions, 90 000 refugies et 1 million de deplaces interieurs.

Ce n’est qu’en 1996 que seront signes les accords de paix entre le gouvernement et l’UNRG (regroupement des cinq composantes de la guerrilla). Les annees de conflits de 1954 a 1996 comptent plus de 250 000 morts, dont 93% imputables a l’armee, les victimes sont majoritairement civiles et indiennes, la Commission independante pour l’eclaicissement historique, chargee d’enqueter dans le cadre des accords de paix note : " L’armée a totalement exterminé des communautés Mayas, détruit leur bétail et leurs récoltes ... Les massacres, où des villages Mayas entiers ont été rasés, ne sont ni des allégations perfides ni le fruit d’une imagination, mais un chapitre bien réel de l’histoire du Guatemala", Sur les plateaux du Nord, le rapport qualifie le massacre de "génocide".

La CPR-P comunidad popular en resistencia del Peten

(je vous epargne la traduction)

C’est sous le gouvernement de Rios Montt que les premieres familles qui composent aujourd’hui la CPR-P ont quitte leurs terres pour aller se refugier dans les montagnes du Peten. Elles ont fui la repressión : parce qu’un jour leur nom est apparus sur une liste, parce que le pere etait membre d’une cooperative ou “alphabetiseur”, parcequ’ils refusaient l’enrolement par les paramilitaires, parce qu’un voisin envieux les denoncait... les raisons sont aussi multiples que les parcours.

Certaines familles ont rejoint directement la Sierra de Lacandon, d’autres sont parties au Mexique dans les camps de refugies avant de rejoindre la montagne (aujourd’hui encore il existe plusieurs camps de refugies au Mexique ou vivent, depuis plus de 20 ans, environs 40 000 guatemalteques). Les premieres annees dans la sierra Lacandon furent les plus difficiles, completement isoles, traques par l’armee, ils ne pouvaient rester plus de 8 jours dans le meme lieu. Il fallait supporter la faim, les maladies, le froid, les insectes, le manque d’eau et surtout la peur. Il a aussi surement fallu apprendre a se connaitre et a se comprendre car les familles reunies dans la foret Lacandon vienne de tout le pays, de langues et de cultures bien distinctes : Qeqch’i, Qaqchiquel, Chorti, Chol, castillan.

En 1991 a lieu la derniere offensive militaire contre les communautes de la CPR-P refugiees dans la montagne, une des plus dures, qui conjuquait attaques terrestres, fluviales et bombarbements aeriens.

En 1993 commencent les negociations avec le gouvernement, les revendications de la CPR-P portent principalement sur le droit a la terre, a la securite et la garantie par l’Etat de la protection de la foret Lacandon. En 1994, les familles sortent pour la premiere fois a la lumiere publique , elles organisent une “caravane”, encadrees par une forte presence internationale. Ce n’est qu’en 1998 que les negociations aboutiront a un accord accepte par les 154 familles de la CPR-P, certaines retrouvent leur terre natale, d’autres rejoignent un camp de “demobilises” (constitue d’anciens combattants de la guerrilla), la majorite prend possesión d’une ancienne finca ou ils nous accueillent aujourd’hui, qui conserve le nom de CPR-P Salvador Fajardo.

La communaute a pu negocier le fait d’etre reconnue “population civile non combattante”, c’est aussi pour cela que le recit de certains de ses membres ne coule pas de source, il y a des sujets dont on ne parle pas au premier venu, les relations historiques avec la guerrilla restent dans l’ombre, (aussi parce que pour le moment la peur et les risques de repressión ne sont pas completement effaces) . Par contre quand il s’agit de parler de l’organisation de la vie (survie) dans la montagne, les visages s’illuminent. Le premier element qui vient est la beaute de la selva, puis l’organisation du quotidien, la reconstruction d’une societe solidaire avec ses necessites et ses regles : “comment maintenir l’education de nos enfants, ameliorer notre sante, cultiver la terre, assurer notre securite...”. Toute cette somme de fondamentaux qui orientent encore aujourd’hui le fonctionnement de la CPR, ont ete penses, debatus, experimetes dans la sierra Lacandon pendant 16 ans, a l’ecart du reste du monde “civilise” .

Aujourd’hui, la Comunidad Popular en Resistencia est un petit village de 54 familles, avec un centre de sante, une ecole, une boulangerie (assez incongru au pays du mais), un moulin, deux epiceries, une radio, un salon communautaire pour les fetes et reunions, une petite chapelle (bien discrete) et plusieurs vehicules dont un bus. Tous ces espaces et outils sont collectifs, tout comme une partie des terres : paturages (la communaute compte environ 200 tetes de betails), plantations de poivre, de bambou et reforestation. Chaque famille dispose de sa maison et d’une parcelle privee pour y cultiver son mais et ses haricots (la base alimentaire). Il y a l’eau potable et l’electricite (malgre les coupures quotidiennes).

La communaute est habituee a recevoir des etrangers (cela fait partie de son histoire) et avant d’entamer tout travail avec la radio nous presentons notre projet a la “junta directiva” composee de 7 membres elus tous les 2 ans par lensemble des familles. C’est egalement “la junta” qui organise la logistique de notre sejour.

Ainsi nous nous installons dans une maison libre avec un petit abri pour la douche et des toilettes au fond du jardín., nous ne manquons de rien.

Pour les repas, la communaute nous propose un systeme assez rigolo : chaque jour nous allons manger dans une famille differente ! Rien de tel pour mieux se rencontrer. La seule chose que nous devons prendre en charge est le remplissage de notre barril d’eau. Il fait une chaleur etouffante, plusieurs robinets sont disperses dans le village, ils s’ouvrent tous les deux jours entre 14h et 16 h. Ainsi nous nous joingnons au ballet de sceaux d’eau et autres jarres en plastique, qui anime et rythme la communaute.

La radio communautaire n’a que quelques mois d’existence, pour le moment il y a presque tout a faire pour lui donner vie. Nous nous attelons a la tache : reglages techniques, soutien aux participants et ateliers de formation. Les premiers programmes sont assez divertissants par leur improvisation et singularite, en plein dans l’experimentation populaire, bien loin du formatage radio.

Bises a toutes et tous,

elsa y guillermo


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