"Cuando dice negro..."

mercredi 3 novembre 2004.
 
La carte postale est plutot allechante, la plage quasi deserte en semaine, le soleil au beau fixe, le rio bien frais qui descend de la montagne. La terre est genereuse et l’eau abondante provoquant regulierement des inondations (mais ceci est deja le hors-champ de la carte postale)

Caracas, barrio El Manicomio, 2 novembre 2004

Premieres mesures du Camino Sacapunta

La carte postale est plutot allechante, la plage quasi deserte en semaine, le soleil au beau fixe, le rio bien frais qui descend de la montagne. La terre est genereuse et l’eau abondante provoquant regulierement des inondations (mais ceci est deja le hors-champ de la carte postale), je continue donc...les petits villages ont chacun leur charme, maisonnettes colorees, portes ouvertes sur de larges cours... Sur le perron, a l’ombre, on installe aisement des chaises l’occasion de discuter entre voisins et de saluer les passants. “¡Eh Pa ! Como estas ?” “Todo chévere” “Me alegras” “Que le vayas bien”...autant de petites phrases qui ponctuent la journee.

Pour rejoindre ce havre de paix de la cote centrale, il faut passer Los Caracas, centre de vacances pour fonctionnaires, en tours de renovation, le 4/4 commence a grimper dans la montagne avant de redrescendre au niveau de la mer, c’est alors une suite de villages afrovenezueliens aux noms de Caciques indiens, Osma, Oritapo, La Sabana (exception a la regle) Todasana, Guayabal et Chuspa.

Le nouveau gouvernement d’Hugo Chavez a engage depuis deux ans la construction d’une route asphaltee, rompant ainsi avec un passe de promesses non tenues et de detournements d’argent. La nouvelle “carretera” est un soutien economique pour la region, le chantier cree de l’emploi dans une zone de fort chomage et reduit l’isolement des villages qui vivent principalement du tourisme et de la peche. Fin 2004 la route devrait arriver a Chuspa, village frontalier avec l’Etat de Miranda (promesse presidentielle en general tenue dans ce domaine), le president met un point d’honneur a reussir dans ces regions oubliees, la ou le systeme anterieur a failli.

Osma est le premier village ou nous faisons escale. Nous avions decouvert l’endroit il y a un mois, sur les conseils d’amis de Caracas, alors que nous cherchions un lieu pour nous reposer apres le tournage du film (surtout Guillaume qui n’avait pas quitte la capitale). L’idee d’y revenir pour demarrer le projet radiophonique est un enchantement.

Nous arrivons a Osma le 12 octobre, jour ferie ou l’on fete cette annee “El dia de la resistencia indígena”, nouvellement rebaptise par le mouvement bolivarien, redonnant un sens historique a cette date qui a connu les honteuses appelations du “Jour de la Race” ou plus anciennement “Jour de la decouverte”. Cette date fait reference a l’arrivee de C. Colomb sur le continent, introduction au genocide des peuples premiers et au systeme economique esclavagiste, plus de 50 millions d’indiens et 30 millions d’africains y trouveront la mort.

Le 12 octobre est egalement la date anniversaire (non sans hasard) du groupe de tambours d’Osma “Café y Panela” qui fete en 2004 ses 26 annees d’existence. Nous voulons ecouter, voir, prendre le temps d’echanger avec la communaute et Ali Augusto Rivas le sage fondateur du groupe, nous debutons ce jour les premieres prises de sons du Camino...

Nous voila des lors immerges dans la culture afrovenezuelienne et nous approchons pas a pas une autre histoire du pays.

A Caracas, on nous a souvent dit que le racisme de couleur de peau n’existait pas, que seul sevit un racisme de classe, omnipresent qui coupe la ville en deux. Cette realite ne doit pas en occulter une autre, plus sournoise ; le racisme colonial a engendre des formes modernes de discrimination et d’exclusion d’une partie de la societe venezuelienne. Les vieux poncifs sur les “vices des noirs” ont la dent dure. Ali temoigne avec amertume de cette realite et egalement de son combat contre le sentiment d’autodepreciation, tres repandu au sein de sa communaute. A travers sa lutte Ali maintient la vitalite du groupe de tambours, il revendique a la fois l’heritage africain de cette musique et sa singularite locale. Veritable cimarron, il est un pilier de la resistance culturelle de la cote centrale.

Ali nous ayant introduit aupres de la radio communautaire de Chuspa, nous y passons 15 jours, le temps de partager avec l’equipe. Nous sommes les nouveaux auditeurs attentifs de la radio avant de devenir les “locutores franceses” de Radio Chuspa.

Grace a cet outil nous tentons de tirer quelques fils de la memoire afrovenezuelienne Certains membres de la radio sont affilies au Reseau Afrovenezuelien, et luttent a travers leurs programmes a la valorisation de l’identite afroamericaine. “Antropología de la Parroquia”, “Decima, Tambor y canto” “ Afrodescendientes” sont trois emissions hebdomadaires de la radio qui tentent de mettre des mots et des sons sur une identite noire, dont le passe n’est pas encore une composante de l’histoire officielle.

Nous allons aussi a la rencontre des vieux du village, se souviennent-ils de leurs grands parents qui ont connu l’abolition ? Connaisent ils des histoires de resistances, de cumbas de cimarrones ? Mais la premiere resistance que nous rencontrons est celle du silence, ici “on ne parle pas de l’esclavage”...ou des malentendus lourds de sens, quand en questionnant sur les resistances, on nous parle de “la grande resistance physique des noirs au travail”...

Entre l’heritage africain, le venezuela creole et la douloureuse histoire de l’esclavage, la communaute noire cherche son chemin... Je pense aux mots de l’uruguayen Eduardo Galeano, “Des douanes de paroles s’organisent, ainsi que des buchers de paroles, des cimetieres de paroles. Pour nous resigner a vivre une vie qui n’est pas la notre, on nous oblige a accepter une memoire venue d’ailleurs. La realite a le visage masque et l’histoire est racontee par les vainqueurs”.

Nous avons tente de demeler quelques fils de la petite histoire de Chuspa, et allegrement partage toutes sortes de poissons, de discussions politiques et de petits verres de rhum (3 specialites locales incontournables). Sur la bande enregistree, quelques heures de vibrations humaines qui tracent les premiers microsillons de notre camino sacapunta.

Abrazo Fuerte, Elsa y Guillaume


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