Au mois de mai la rose...

jeudi 5 mai 2005.
 
Je vous envoie une photo du 1er mai, grand jour pour moi puisque pour la première fois j’ai vu « en vrai » le Comandante !

Je vous envoie une photo du 1er mai, grand jour pour moi puisque pour la première fois j’ai vu « en vrai » le Comandante ! Son argumentaire principal portait sur la nouvelle forme d’organisation économique qui se développe au Vénézuéla (avec la multiplication des coopératives, appelée de ses vœux par le Président, et des entreprises en cogestion : après Invepal, Valvulas vient d’être remis la semaine dernière aux ouvriers). Il a aussi, en félicitant les participants des missions Ribas et Vuelvan Caras qui vont être gradués en mai, rappelé leur importance. Avec Vuelvan Caras, c’est 300 000 personnes qui ont acquis une formation technique (ça va de la mécanique à la patisserie en passant par l’élevage de volailles, la récupération de matériaux etc). Evidemment ça coûte cher à l’Etat, 100 dollars par personne, mais comme le dit Chavez, qu’est-ce que 100 dollars pour donner une formation à une personne qui toute sa vie a été exclue de l’école, l’université comme de tout système de formation ? 25 000 étudiants de la mission Ribas vont quant à eux obtenir leur baccalauréat fin mai. Le projet du gouvernement, c’est sur les 25 000 d’en sélectionner 10 000 qui iront étudier la médecine à Cuba, ce qui m’a fait penser au vendeur d’hamburgesa en bas de Manicomio, un petit vieux de 70 ans mais qui en paraît 20 de moins et qui nous disait suivre « la Ribas » pour ensuite partir étudier les virus dans la forêt amazonienne. Je m’étais dit que ce type était un incroyable doux-dingue mais je m’aperçois maintenant que son projet pourraitvêtre fondé ! Chavez a aussi profité de son discours pour parler de l’enjeu des prochaines législatives à l’automne, rappelant que la pérennité de toute la législation en place -loi sur les médias, loi des terres, etc- en dépendait. Et surtout -pour ceux qui ont suivi les péripéties de l’Alberdi- il a rappelé à la raison Freddy Bernal, le maire de Caracas et Juan Barreto, le maire de toute l’agglomération, pour qu’ils arrêtent leur rivalité politique dont patissent directement les projets communautaires -comme l’école-, et évoquer le fait que rien n’était plus important qu’un projet collectif et participatif émanant d’une communauté, que cela plaise ou non aux autorités municipales.

Tout ça doit vous paraître bien loin, mais tout ce que Chavez évoque dans ces discours, qui sont présentés en France et ailleurs de manière cynique -où les comparaisons peuvent aller de Fidel à Drucker- ont une résonnance et une portée incroyable. Pour parler de Aló Presidente, qui dure en effet 5 ou 6 heures, Chavez prend le temps d’expliquer ses actions, de discuter avec des invités, de répondre soigneusement aux questions qu’on lui pose par téléphone (d’où le nom du programme) de tous les coins du pays. Il improvise, suit le cours de sa pensée, développe ses raisonnements face aux caméras, fait avancer son discours à coups d’associations d’idées, et se laisse aller à développer ses convictions et ses sentiments, ce qui, à mon avis, est révélateur de sa sincérité dans ces moments télévisuels. Si ces émissions donnent la possibilité à Chavez de s’exprimer directement avec le peuple, pour ce dernier c’est l’occasion de converser avec le Président mais aussi d’apprendre à le connaître. Parce que ce serait impossible même pour un excellant communiquant de jouer la comédie pendant 5 heures. Chavez s’ouvre aux spectateurs d’une façon réelle, ce qu’aucun autre chef d’Etat n’accepterait de faire. Et c’est justement à la personnalité même du président que les Vénézuéliens sont attachés, à son humour notamment.

Depuis l’Europe, c’est incompréhensible. En fait, hors de la réalité vénézuélienne, c’est très difficile de comprendre le sens de ce programme comme des fréquentes interventions de Chavez à la télévision. Pour cela, il faut pouvoir se décentrer.

C’est d’ailleurs une manière de rompre avec la mythologie du pouvoir à laquelle nous, Européens, sommes peut-être trop habitués. Chavez rencontre les personnes, prête autant d’attention à une petite vieille d’un village perdu qu’à un officiel. De fait, il a construit un type de pouvoir auquel le peuple tient beaucoup. Et l’on comprend aussi pourquoi le peuple a sauvé la Constitution après le coup d’Etat. L’amour se paie avec de l’amour...dit une formule populaire que l’on entend dans la rue.

Ces émissions sont aussi un peu comme des cours de remise à niveau. La logique dominante, avant l’arrivée au pouvoir de Chavez, était d’effacer la mémoire populaire. Il suffit de regarder les chaînes privées, où l’on ne parle que de chiens écrasés, d’histoire d’amour, et où l’on ne voit que des blancs sur fond de décors de cartons pâte. Comme le souligne J-Martin Barbero : « le processus que l’Amérique Latine vit au début du Xxième siècle est différent : les moyens de communication de masse cooptés par la télévision, sont devenus de puissants agents d’une culture monde dont les expressions les plus explicites résident dans le façon de voir des jeunes et l’apparition de cultures dépourvues de mémoire territoriale ».

Il suffit aussi de constater à quel point l’histoire du Vénézuéla, celle des révoltes paysannes, de la guerre fédérale contre l’oligarchie, etc., a été longtemps occulté des programmes scolaires... Ce que fait Chavez tous les dimanches, c’est un peu le sauvetage de cette mémoire historique, depuis les premières rébélions d’esclaves jusqu’à la pensée de Bolivar, de Ezequiel Zamora, de Simon Rodriguez. Une occasion de rappeler les racines du peuple vénézuélien, d’évoquer avec fierté son métissage, de tenter de redonner au peuple une identité qui ne soit pas une identité coloniale, une identité de colonisés, par tous les colons, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui avec leur soit-disante « culture » de masse. On devrait dire « déculture » en masse.

C’est aussi à chaque fois l’occasion pour Chavez de revenir sur les articles de la Constitution, les textes de lois, pour les expliquer. D’ailleurs, comme le dit Renaud Lambert que je cite parce que je trouve ça très juste : « Où à part au Vénézuéla pourrait-on trouver la totalité des textes de lois en vente en format de poche sur les étals des rues des quartiers périphériques de la capitale, entre les pièces de rechange pour ordinateur, les programmes informatiques [piratés] et les bananes plantins ? où , à part au Vénézuéla, peut-on entendre citer de mémoire les articles de la Constitution du pays ? où, à part au Vénézuéla, peut-on entendre des militants favorables à un procesus que l’opposition et la presse étrangère accuse d’être agressif et violent, répondre en se frappant d’un geste ferme et orgueilleux, la poche de chemise qui porte un exemplaire de la Constitution ? »

Ces discours, dans une étape de changement social comme celle que vit le Vénézuéla actuellement, sont indispensables. Ils ont une force performative. C’est en cela que ce programme n’est en aucun cas de la démagogie. Chavez est convaincu que ses idéaux devriendront réalité. Et chaque semaine c’est de ses idéaux dont il parle. Et sans ses exhortations à la multiplication des organisations populaires, au développement des coopératives, à la nécessité de lutter contre le latifundio, mais aussi le rappel des liens fraternels unissant le peuple à l’armée, les louanges des initiatives locales en matière de développement social, qui sait si le processus ne se heurterait pas à encore plus de résistances que celles qu’il rencontre déjà  ? pour le peuple, ce sont des encouragements, et leur régularité est nécessaire pour que la lutte continue.

A bientot !


1er mai 2005 à Caracas - Le président Chavez (en petit en bas à gauche) lors de son discours à la manifestation du 1er Mai 2005 à Caracas
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