JE NE M’EN DOUTAIS PAS.

Août 2006, Caracas
mardi 11 septembre 2007.
 
Je ne me doutais pas, ce jour d’avril 2006, en attendant notre contact sur cette passerelle rouge, deux heures à peine après avoir posé les pieds au Venezuela, que cette passerelle rouge serait tout un symbole pour moi en y repensant un an et demi plus tard.

Je ne m’en doutais pas quand je voyais ces vieux engins roulant importé du voisin étasunien défiler sous cette passerelle rouge.

Je ne me doutais pas de l’importance que revêtirait pour moi la couleur de cette passerelle, rouge, en y repensant un an et demi plus tard.

Je ne me doutais pas que rouge allait être la grille en bas de chez moi.

Rouge la porte d’entrée de ma maison.

Rouge les tabourets de chez moi sur lesquels je pose tous les jours mes fesses.

Rouge cette serviette de bain, appartenant à mon défunt grand père, récupérée lors d’un passage en France six mois plus tard et qui allait désormais accompagner chacun de mes réveils.

Rouge les soleils couchant de ce pays de feu.

Rouge les immenses terres de l’Avila, chaîne rocheuse semblant protéger Caracas de ses dix doigts bien tendus.

Sur ce mur devant lequel je passe tous les jours un an et demi plus tard : rouge ce graffiti des Tupamarus, nom des habitants d’un quartier : el 23 de enero, renommé pour sa résistance pendant la dictature de « Gimenez » et celle de la « sociale démocratie » de Carlos Andrés Perez.

Rouge cette coccinelle Volkswagen qui a transporté le président de ce pays, Hugo Chavez, lorsqu’il est venu voter dans ce même quartier de rebelles, armés, prêts à dégainer pour lui, fatiguéEs qu’ils sont d’avoir toujours été enfoncé un peu plus dans la misère à chaque gouvernement antérieur.

Rouges les pensés de ce guevariste cubain rencontré ici à Caracas, on ne sait comment, devenu aujourd’hui un ami et qui aura joué un grand rôle quant à la formation de ma pensée politique.

Rouges les innombrables tee-shirts faisant l’apologie d’un gouvernement dont le mot d’ordre est : « désormais le Venezuela est à tout le monde » portés par toute une frange de la population.

Rouge cette marée humaine, vague de dignité, qui sort dans la rue, la prend à bras le corps, à pleins poumons, pour défendre ce processus appelant à la participation de toutes et de tous à la vie politique du pays.

Rouge cette barque qui nous a transportés quelques camarades et moi au plus profond de l’Amazonie, auprès du peuple Yanomami, oublié, délaissé, loin si loin de toutes ces batailles urbaines.

Rouge aussi le sang de ces paysans assassinés au sud ouest du pays, à la frontière colombienne, zone de déstabilisation du pays et de déchirements entre les deux armées régulières, les paras militaires colombo étasuniens, les guériller@s et les habitants créoles et indiens.

Rouge enfin cette couleur devenue pour moi symbole d’un espoir profond.

Le Venezuela n’est pas ce pays de mes rêves : utopiques, fous, teintés de liberté, de justice et de dignité.

Le Venezuela n’a pas fait disparaitre cette verticalité politique, cette échelle d’importance, cette hiérarchie entre êtres humains, il n’a pas déconstruit l’indispensable, à mes yeux, pour la mise en place d’une véritable révolution.

Le Venezuela ne s’est pas débarrassé de ces nombreuses traces laissées par l’empire voisin qui l’a longtemps dominé, stigmates omniprésentes qui ont mutilés les racines culturelles de ses habitants.

Le Venezuela n’est pas ce pays affranchi de sa propre malédiction, qui est aussi sa fortune première : l’or noir. Celui la même qui coule dans les veines de cette terre tout à la fois sombre de tant de richesse difficilement contrôlable et lumineuse de tant de richesse émancipatrice.

Le Venezuela incapable de faire son autocritique, encore moins de supporter une critique, pourtant, selon moi, encore une fois indispensables à la mise en place d’une véritable révolution.

Le Venezuela, dont la Nature sans cesse salie par les mains de ses habitantEs insoucieuSESx hurle son ras-le-bol, dont le machisme est si outrageusement affiché, dont la corruption et la bureaucratie sont encore les piliers de l’état, dont une nouvelle bourgeoisie semble se préparer des jours heureux, le cul bien au chaud.

Le Venezuela dont les alliances politiques internationales me sont bien désagréables, d’un côté Ahmadinejad et sa révolution religieuse..., de l’autre le futur Empire de Chine néo-capitaliste à outrance, de l’autre encore la Russie massacreuse de tchétchènes.

Le Venezuela dont les choix politiques me semblent encore insuffisamment radicaux, trop mous, pas assez subversifs, novateurs, déconstruits...

Mais ce Venezuela possède aussi et surtout en lui un rouge feu maculé d’un espoir que peu de pays ont la chance de pouvoir revendiquer aujourd’hui. Espoir qui, à lui seul, balaye tous les arguments accusateurs, jugeurs, condamnateurs cités ci-dessus... Parce que ces arguments ont tous leur explication rationnelle, historique, culturelle, stratégique et donc leur contre argumentation que le lecteur un peu curieux retrouvera au fil de ces pages. Parce que, au fond, sincèrement, qui sommes-nous, nous petitEs européenEs engluéEs dans un néo-conservatisme crade et dégoulinant d’actes politiques rétrogrades, réactionnaires, et profondément inhumains confortant dans leurs fauteuils des élites qui pissent allégrement sur la masse résignée, vaincue, docile, soumise comme des ouvrierEs à leur misère ? Qui sommes-nous, nous qui ne connaissons même pas l’histoire de ce pays ? l’ampleur du chantier en cours ? la vie, tout simplement, la réalité de la vie des gens qui l’habitent ?


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