Que Vive !

mardi 1er mars 2005.
 
Vive TV, je crois qu’il est temps que je vous en dise un peu plus sur cette chaîne de télé.

Donc Vive Tv...

Il s’agit de l’une des deux chaînes publiques vénézuéliennes, avec VTV. Après le coup d’Etat du 11 avril 2002, Chavez s’est rendu compte qu’il avait perdu à ce moment-là une première bataille médiatique-une défaite heureusement contrecarrée par les chaînes communautaires du pays-. Il fallait donc que l’Etat puisse renforcer sa « visibilité » mais aussi et surtout donner au peuple un canal national d’expression dans la suite logique des idéaux de participation qu’il promeut. Ce qui fut fait il y a à peine un an et demi par la création de la chaîne, présidée depuis le début par Blanca Ekkhout, qui dans les années 1990 avait fondé la chaîne communautaire de Caracas Catia Tv-qui fut l’une des sources d’informations du peuple de Caracas sur la réalité du coup d’Etat et un des facteurs de son échec. Pour résumer quelques principes de la chaîne : conformément à l’esprit de processus de changement social en cours dans le pays, la chaîne doit favoriser la participation et l’encourager dans les communautés les moins organisées, l’idéal étant à terme que le peuple lui-même fasse sa propre information-l’information n’est pas la seule activité de la chaîne qui réalise des programmes culturels, d’autres à destination des enfants comme n’importe quelle chaîne mais puisque c’est là que se joue la clé de l’originalité de Vive, c’est là-dessus que je vais insister. Cette information par le peuple, le Noticiero de los ninos le fait déjà, en donnant la caméra et la liberté des sujets aux enfants. Le fait aussi le Noticiero del cambio, une équipe du secteur information de Vive, entièrement constituée de jeunes formés par l’école de ciné -qui avant se trouvait dans l’école Alberdi de Manicomio, aujourd’hui dans les locaux mêmes de Vive-, qui, pour la quasi totalité d’entre eux, sont des jeunes issus des barrios de Caracas. L’idée à terme est que les équipes de Vive forment sur chaque terrain d’investigation des équipes de paysans, ouvriers et autres lutteurs sociaux, à même de constituer des petites cellules locales de production. Un objectif de long terme mais qui d’ores et déjà prend forme à Venepal où Ben est allé formé un groupe d’ouvriers qui bientôt feront eux-mêmes leurs propres programmes. Il s’agit en effet de rompre avec les pratiques traditionnelles journalistiques qui reproduisent, et favorisent par là même, la logique de la «  représentation » -dont on retrouve toute la quintessence dans la technique de l’interview-, représentation qui, par définition, prive le peuple de toute participation. Ainsi, le collectif est privilégié sur l’acteur individuel ; les sujets du JT n’ont pas de formats imposés afin de laisser au journaliste la liberté d’approfondir les sujets au-delà des seules interviews et déclarations officielles -qui constituent au Vénézuéla le principal outil journalistique- ; et, plus largement, la forme documentaire doit petit à petit se substituer au reportage, ce qui suppose en interne un temps de formation, ou plutôt de « dé-formation » des journalistes formés aux techniques du reportage type CNN. L’image elle-même doit être pensée différemment : pour rompre avec l’esprit de représentation des télévisions commerciales, il s’agit d’en finir sinon avec les interviews, du moins avec le centrage de l’interviewé qui cache au spectateur le contexte et prive son regard de la liberté de se mouvoir dans une partie ou une autre du cadre, donnant au discours de l’interviewé tout pouvoir sur la capacité d’interprétation du spectateur, et qui réduit celui-ci à ingérer l’information de manière passive. Le contraire d’une « information participative ». Ou encore limiter au maximum l’usage du zoom qui crée une fausse impression de proximité avec l’objet ou la personne filmée et trompe tant le spectateur que le sujet du cadre. Il s’agit au contraire de profiter de la caméra pour créer le contact. Le contact, l’échange sont d’ailleurs les clés du Noticiero del Cambio. Les équipes partent chaque semaine réaliser des investigations de plusieurs jours dans différents coins du pays où ils vont vivre directement dans les communautés, partager leurs conditions de vie et leurs luttes. Chose qui ne s’était jamais vue dans le pays -et même ailleurs-, où les journalistes non seulement se focalisent sur la capitale, les « gens qui comptent », mais surtout se contentent d’une heure à peine sur place pour réaliser leurs reportages. Le lien est maintenu ensuite avec les communautés qui souvent vont re-solliciter les équipes pour qu’elles approfondissent leur travail ou qu’elles viennent les soutenir directement. Un exemple  : des campesinos avaient informé Vive que des menaces très sérieuses pesaient sur eux, le grand propriétaire local n’hésitant pas à utiliser la violence pour les dissuader de revendiquer les terres qu’il occupait de manière illégale depuis des années. Après un premier programme, parce que la répression s’accentuait, la petite équipe du Noticiero est retournée sur place fournir la visibilité et l’appui médiatique à la communauté paysanne. Leur programme a fini par faire pression sur le grand propriétaire et la situation commence à se débloquer. Mais surtout, suite à un tel programme, des tas de campesinos appellent aujourd’hui la chaîne pour les informer des exactions dont ils souffrent et dont les médias traditionnels ne parlent jamais ! Autre exemple, les ouvriers de Venepal (aujourd’hui Invepal) affirment qu’ils doivent 40% de leur victoire à Vive, qui les a suivi dans leur lutte depuis sa création. Toutes les semaines, des ouvriers d’autres entreprises menacées de fermeture par des patrons peu scrupuleux, en informent la chaîne. Et cela va bien au-delà des campesinos et des ouvriers. Cette semaine par exemple, c’est une radio communautaire menacée par le gouverneur de l’Etat en question qui a contacté le canal. En fait, dans une période de changement social fort impulsé par le sommet de l’Etat, relayé par les initiatives locales, mais souvent empêché ou retardé par la corruption ou la bureaucratie, Vive sert en quelque sorte de canal d’informations et d’échanges entre le peuple et Chavez. Il est fréquent que le président se réfère ainsi aux programmes réalisés par Vive pour dénoncer directement dans « Alo presidente !  » les irrégularités commises ça et là, et orienter l’ordre du jour des agendas ministériels...La chaîne est une sorte de « contraloria social » -un concept clé de cette phase de la « révolution dans la révolution » appelée par Chavez -à grande échelle. Mais au sein même de Vive existe cette « contraloria social », des représentants de différentes communautés en lien avec Vive se réunissant très régulièrement afin de donner leur avis sur les orientations de la chaîne. Tout ceci a l’air bien idyllique. En réalité, Vive se heurte en interne dans la réalisation de ses objectifs à un certain nombre de résistances. Le canal dans les premiers temps a en effet dû recruter un ensemble de personnes ayant davantage les compétences requises que l’engagement nécessaire. Et ces compétences elles-mêmes sont sources de pratiques, de routines, qu’il s’agit de changer pour que la chaîne puisse remplir son rôle participatif et protagoniste. Des routines dont on retrouve des traces dans les images, la manière que certains ont de filmer, de réaliser leur programme -comme le JT qui est jusqu’à maintenant présenté comme sur n’importe quelle chaîne par un unique présentateur, centré etc...héritage du système de « représentation » traditionnel - mais aussi dans l’organisation sociale de la chaîne avec des chauffeurs se plaignant du mépris affiché de certains, des caméramans regrettant de n’être que des OS aux services des journalistes etc... D’où les formations internes que dispensent Thierry, Tristan et Ben, des formations à la fois pratiques afin que tous puissent acquérir un savoir faire audiovisuel -chauffeurs, personnel de ménage, membres de l’administration peuvent participer- et ne pas être figés dans des fonctions jugées « subalternes » par les métiers « aristocrates » d’une chaîne de télévision. Mais des formations qui sont aussi «  idéologiques » puisque c’est une autre manière «  politique » de filmer qu’il s’agit de développer au sein de Vive, pour que la chaîne puisse jouer activement son rôle dans le processus de changement social en cours. Il y a encore beaucoup de choses à changer pour que la chaîne parvienne à atteindre l’ensemble de ses objectifs... Il s’agit de penser sans cesse de nouvelles formes pour changer aussi le fond... Vive est une télévision en changement en vue du changement social.

Voilà en gros, pour que vous ayez une meilleure idée de cette chaîne qui, à mon avis, n’a son pareil nulle part dans le monde...

A très bientôt

Johanna

PS : petite précision au sujet du terme de «  communautés » que plusieurs d’entre vous m’ont demandé de préciser : ici, la connotation française du terme n’existe pas. Le terme s’applique de manière générale au groupe de personnes vivant dans un même quartier, un même village. Norbert Elias définit bien mieux le concept dans son bouquin « Logiques de l’exclusion » : « le mot lui-même n’importe guère. Ce qui importe, c’est de reconnaître que les types d’interdépendances, de structures et de fonctions que l’on trouve dans des groupes résidentiels de familles créatrices de foyers ayant une certaine permanence, posent des problèmes propres, et qu’il est capital d’élucider ces problèmes pour comprendre le caractère spécifique d’une communauté en tant que communauté ».

Hasta luego !


Répondre à cet article

Forum