Yaracuy

mercredi 2 mars 2005.
 
Du 7 au 10 janvier a eu lieu dans l’Etat de Yaracuy une série de rencontres de petits producteurs sur différents thèmes très discutés en ce moment dans le pays comme la Loi sur la terre, le système du latifundio, la préservation de l’environnement, la conservation des semences ou encore les modes de financement des petites exploitations.

YARACUY (1)

Hola companeros

Du 7 au 10 janvier a eu lieu dans l’Etat de Yaracuy une série de rencontres de petits producteurs sur différents thèmes très discutés en ce moment dans le pays comme la Loi sur la terre, le système du latifundio, la préservation de l’environnement, la conservation des semences ou encore les modes de financement des petites exploitations. Vive Tv devant couvrir l’événement, j’ai accompagné Tristan là-bas. Une occasion de vivre quelques jours chez des campesinos et de discuter avec eux du « processus » en cours. On y a appris un tas de choses, rencontré des gens incroyables et finalement on est revenus regonflés d’optimisme au vu du degré d’organisation et de mobilisation de ces campesinos, comme des avancées concrètes de la « révolution bolivarienne » dans le domaine agraire. Je vais d’abord posé un peu le cadre général et je rentrerai plus tard dans les détails.

Petit point sur le contexte régional

L’Etat de Yaracuy se situe à environ 300 km de Caracas. Comparé à d’autres, c’est un petit Etat d’environ 7 000 km2 mais très diversifié d’un point de vue géographique et climatique. C’est aussi le 5ème Etat du pays -sur 22- pour la production de maïs, culture qui s’y est développée à partir du XVIème siècle. Par la suite, la production s’est diversifiée avec le développement d’une agriculture de subsistance pour les petits producteurs, la culture du café ou encore de la canne à sucre dans les grandes exploitations de type latifundiste. Ces 50 dernières années, les producteurs de la région ont été toutefois incités à s’orienter vers la monoculture du maïs ou de la canne à sucre, d’une part sous l’impulsion de la réforme agraire de 1963 mais aussi avec l’implantation, dans le Municipio de Chivacoa, d’une entreprise productrice de farine de maïs, la PROMASA. Au début des années 1980, 35 000 hectares étaient ainsi dédiés à cette culture. Bien que l’industrie soit prospère, les petits producteurs se sont progressivement trouvés dépendants de cette production à la fois source d’appauvrissement des sols et facteur d’endettement pour les petits producteurs. Une situation accentuant le contraste entre les conditions de développement agricole comme les conditions de vie des petits producteurs et celles des grands propriétaires terriens...Une situation comparable à celle de la grande majorité du monde agricole vénézuélien, à une originalité près : l’histoire de l’Etat de Yaracuy est une histoire de luttes continuelles. Depuis la lutte contre les colonisateurs à la lutte armée des guérilleros [1] au début des années 1960 en passant par la création du Parti Communiste Vénézuélien et celle de la première coopérative du pays fondée à Camunare en 1967. Le 30 décembre 2004, l’Etat de Yaracuy était le premier du pays à décréter la « lutte contre les transgéniques »...

La communauté de La Virgen

Ainsi, dans le petit village de La Virgen où vivent quelques 3 000 habitants, la quasi totalité des producteurs sont organisés en petites coopératives de quelques dizaines d’hectares, le plus souvent de type familiale. Certains sont d’anciennes et d’anciens guérilleros, aujourd’hui « luchadoras » et « luchadores » pour un autre système économique et l’éradication du système latifundiaire. Une lutte qui les a pour la plupart conduit à l’affrontement direct avec les forces de police des anciens gouverneurs de l’Etat, dont une émanation, appelée les « pantalones », fut pendant des années aux ordres des grands propriétaires : une source de menaces permanentes pour les petits producteurs.

Andrea, Elisabeth, Candido, Luis, Gloria et Oscar font partie de la famille Castaneda. Une famille représentative de ces petits producteurs qui ne renonceront jamais à faire valoir leurs droits. Composée de 12 frères et sœurs, la famille s’est organisée en une coopérative agricole d’une cinquantaine d’hectares.

Andrea : « on a l’expérience de la lutte. Quand on est sorti dans les rues pour revendiquer nos droits en 1989, personne n’est venu nous soutenir. Ni le 4 février, ni le 27 novembre. On était une majorité de femmes et on a du affronter les forces de l’ordre du gouverneur de Yaracuy. 1989, personne ne doit l’oublier [2] ».

Elizabeth : « la lutte de notre famille a commencé bien avant, déjà dans les années1960 lors de l’invasion des terres. On savait déjà que soit on gagnerait, soit on mourrait ».

Candido : « Nous sommes un peuple en lutte depuis toujours. Et depuis plus de quarante ans pour la question de la terre. Nous suivons le chemin de ceux qui ont lutté pour la liberté, pour que nos enfants puissent vivre dans un monde plus juste ».

Elizabeth : « on sort de 40, voire même de 60 ans de désastre politique ».

Le processus en cours suscite chez tous un immense espoir. Comme le rappelle Candido, « on a le potentiel pour développer une des meilleures agricultures du monde, il faut en avoir conscience ». La pauvreté n’est pas une fatalité.

Des changements en cours

S’il reste sur une des façades de l’épicerie du village un grand « Si » [3] , les murs de la Virgen témoignent de l’espoir mis en Hugo Chavez : les portraits des symboles de la révolution bolivarienne, Simon Rodriguez, Jose Felix Ribas, Antonio Jose de Sucre, Bolivar et bien sûr du « Comandante », se succèdent. Certains sont accompagnés de citations, telle celle attribuée à Rodriguez : « El titulo de maestro no debe darse sino al que sabe ensenar. Esto es al que ensena a aprender » [4] ou à Chavez : « A Cesar lo que es del Cesar, a Dios lo que es de Dios, al pueblo lo que es del pueblo » [5] . D’autres inscriptions sonnent comme autant de slogan : « Yo si puede » , « Vencedores como en Ayacucho », « Defensa de nuestra sobrania », « Oligarcas, tremblad, viva la libertad », ou encore « A los Estatos Unidos, en nombre de la providencia y la libertad estan predestinados de plagar miseria a la America » [6] . Tous furent peints lors de la campagne référendaire.

De fait, le village a dans sa quasi totalité opté pour le « Non » au référendum. Même Carmen Espinoza, la directrice de l’école, est allée voté à cette occasion. Pour la première fois, « parce que pour la première fois cela me semblait important ». Pour cette ancienne combattante, entrée à 13 ans dans la guérilla, Chavez constitue le premier espoir politique justifiant ce type d’expression politique.

La vague pro-chaviste s’est poursuivie lors des élections régionales et municipales. Carlos Jimenez a ainsi remplacé l’anti-chaviste Eduardo Lopez à la tête de l’Etat de Yaracuy. Les blocages au processus qui perduraient avec l’ancien gouverneur sont théoriquement levés. Signe d’un début d’accélération du processus dans la région, les créations de coopératives se multiplient. Mais si les campesinos de La Virgen espèrent une réforme agraire radicale tant dans les structures de propriété que dans les modes de gestion et de production, ces derniers ne se font pas non plus d’illusion. Tous sont prêts à l’affirmer : « la lutte ne va pas s’arrêter là ».

La « révolution dans la révolution » (1) [7]

A l’origine de ces doutes, le faible crédit accordé aux nouveaux élus de Yaracuy comme d’ailleurs. « Si Carlos Jimenez [l’actuel gouverneur de Yaracuy] a remporté les élections, affirme Oscar, c’est parce que Chavez est venu le soutenir trois jours avant ». Candido est du même avis : « les articles 1 et 2 de la Loi sur les terres et les articles 305, 306 et 307 de la Constitution constituent une avancée réelle. Mais j’ai l’impression que nous avons des maires, des députés, voire des ministres, qui utilisent le même discours que celui de Chavez, mais que ça s’arrête là ». « L’esprit 4ème République » demeure. Une de ses émanations est l’administration. Ainsi pour Elizabeth, « la bureaucratie à l’intérieur du gouvernement empêche [le processus] d’avancer. Mais Chavez heureusement n’est pas seul. Il a le peuple avec lui ». Et ce dernier, comme le rappelle Andrea, un outil majeur : « les articles de la Constitution sont nos armes, on doit les faire valoir, pour que notre gouverneur les respecte. Faire la révolution dans la révolution, c’est cela, faire valoir les articles de la Constitution »

Les élections régionales ont en effet prouvé que les appareils politiques n’étaient pas encore prêts à soutenir la dynamique de « développement endogène » et de participation des communautés au jeu politique. L’imposition de candidats parachutés au détriment de candidats issus de la base en fut une cinglante illustration. Le discours d’Elizabeth est sans ambages : « nous sommes des révolutionnaires. Le pouvoir doit revenir au peuple. Parce que nous, travailler la terre, on sait ce que sait. Ça ne peut pas être un ministre ou un gouverneur qui puisse décider comment cultiver le maïs. Nous exigeons pour le peuple un quota de pouvoir, celui de la participation ». Et comme le rappelle Candido : « le but ce n’est pas la révolution. C’est l’indépendance et la liberté, un Etat indépendant et libertaire ». Il y a encore du chemin à faire, et des luttes à mener...

Un problème majeur : l’eau... et la terre

L’eau ne manque pas dans l’Etat de Yaracuy. Les sources provenant des massifs sont très nombreuses. Le rio Cororotico a ainsi pendant des décennies alimenté en eau les habitants de La Virgen. Mais aujourd’hui, la majorité de ses habitants comme des villages alentours sont privés d’eau la plus grande partie de l’année. Il est ainsi arrivé que l’alimentation en eau soit coupée près de trois mois. En règle générale, la coupure dure 4 à 6 jours sur 7. « Le système d’adduction est complètement obsolète, explique Elizabeth. Il a été conçu il y a 40 ans, pour 100 familles, aujourd’hui on est dix fois plus nombreux. Du coup, il y a certaines terres que l’on ne peut pas cultiver, non parce qu’on ne le veut pas, mais parce qu’on ne le peut pas. On est donc obligé de travailler avec la pluie, sachant que la saison sèche ici dure de janvier à mai ». Comme le souligne également Oscar : « tous les villages sont dans la même situation, on partage le même réseau. Du coup on tourne, c’est tel village qui a de l’eau tel jour, tel autre le lendemain etc. ».

Plus que l’eau, ce qui manque, manifestement, c’est une volonté politique.

Un système d’entraide entre voisins palie les carences du politique en permettant l’approvisionnement en eau des maisons qui en sont totalement dépourvues.

La question de l’eau est intimement liée à celle de la terre. L’exploitation intensive dans certaines grandes propriétés est en effet la cause d’une pollution des cours d’eau jugée catastrophique par les petits producteurs. « Un peu plus loin, il y a une exploitation de 17 000 hectares qui produit exclusivement de la canne à sucre, raconte Luis. Non seulement elle puise à elle seule une quantité d’eau énorme mais en plus elle utilise des fertilisants très toxiques qui ont pollué ce qui reste des eaux du Yaracuy. Il faut que l’on puisse récupérer cette terre. D’abord parce qu’elle ne profite qu’à un utilisateur. Je n’emploie pas le terme de propriétaire exprès, on ne peut pas parler de propriétaire dans le cas d’appropriation illégale de la terre. C’est d’ailleurs la deuxième raison pour leur récupération : ces terres ont été acquises de manière illégales. Quand les petits propriétaires ne savent pas lire ni écrire, c’est très facile de falsifier des documents ». Comme le précise Maximo, producteur à La Virgen : « ces grandes exploitations ont participé à la déforestation des massifs. Or, avec la déforestation, il pleut de moins en moins, on est passé de 186 jours de pluie par an en moyenne à 125 ».

L’eau, un enjeu politique qui cristallise tous les combats que mène la communauté de La Virgen pour un autre type d’agriculture et une plus juste répartition des terres...

YARACUY (2)

l’école bolivarienne de La Virgen

L’école de La Virgen accueille tous les jours 285 enfants, depuis les prescolar, la maternelle, jusqu’au sexto grado, qui équivaut à la fin de l’école primaire. A partir de 12 ans, soit de la « tercera etapa » à la « preparatoria », une centaine d’adolescents sont également scolarisés dans l’établissement.

Ecole pilote, il s’agit de l’une des toutes premières « écoles bolivariennes » du pays. Cela fait ainsi 4 ans que l’école fonctionne avec ce statut. Comme le rappelle une affichette bien en vue à l’entrée de l’école, les écoles bolivariennes ont pour objectif de « garantir une éducation démocratique, participative, protagoniste, multiethnique et pluri-culturelle, qui permette de former intégralement les enfants et adolescents sans discrimination aucune, selon la conception bolivarienne (...). Elle se développe à partir de la capacité créatrice et des savoirs populaires ». Plus de 3 700 écoles de ce type existent dans le pays.

Un projet social

Dans les écoles bolivariennes, qui se multiplient dans les espaces déshérités où taux de chômage élevé et faiblesse du niveau de vie sont la règle, l’alimentation des enfants constitue une priorité. Le PAE, Programa Alimentario Escolar garantit ainsi trois repas pas jour aux élèves de maternelle et de primaire : le petit déjeuner, le déjeuner et le goûter sont gratuits. Claudia Lopez, qui prépare chaque jour les repas des enfants présente un menu type. « Aujourd’hui par exemple il y a eu le matin une arepa [8] au fromage et du jus de goyave, et ce midi une soupe de pomme de terre, des spaghettis et de la salade. Au goûter les enfants auront de la gélatine et des biscuits ».

Le principe est bien sûr de garantir aux enfants des repas dont ils ne peuvent pas toujours bénéficier chez eux, de favoriser ainsi leur concentration en classe, mais aussi de leur transmettre une éducation à l’alimentation. « Les élèves mangent en classe et la maîtresse est chargée de leur expliquer ce qu’ils mangent, ce qu’apportent les différents aliments. C’est aussi un moyen de parler aux enfants du travail agricole et des recettes traditionnelles de la région voire du village ». Un projet qui revête donc à la fois une dimensions nutritionnelle et culturelle.

La pratique complète la théorie puisque parmi les devoirs qu’ont à faire les élèves, la cuisine occupe une place importante. Comme l’explique Carmen Espinoza, la directrice de l’école, « c’est fondamental que les enfants puissent produire leur propre alimentation, et qu’ils se rendent compte qu’ils peuvent cuisiner avec des fruits et des légumes qui sont cultivés ici ».

Un projet éducatif

Les murs des salles de classe sont ornés de dessins représentant des animaux ou les différentes étapes du travail aux champs. Sur une table est posée un grand « calendrier socio-productif 2004-2005 ». Sur chaque page : un tableau représentant les différentes semaines, les saisons agricoles, ainsi que des textes racontant selon les mois l’histoire du village, ses croyances, ses dates importantes -comme l’année de l’acquisition du premier tracteur ou de la première bicyclette ainsi que le nom de leurs propriétaires -, d’autres évoquant le problème crucial de l’eau dans le village comme plus prosaïquement quelques recettes de cuisine locale. On y apprend quels sont les fruits et légumes cultivés dans le village -le café, les haricots noirs ou caraotas, ou encore la ahyama, une sorte de potiron local, le poivron, la tomate, les haricots verts ou frijol, le quinchoncho, sorte de petits pois, l’orange, la mandarine, la goyave et bien sûr le maïs- ainsi que les composantes de la faune locale.

La directrice explique de quoi il s’agit : « ce calendrier a été réalisé conjointement par l’ensemble des enseignants au terme d’une investigation dans le village. Ce qui a aussi été l’occasion pour ceux qui viennent de loin de faire connaissance avec la communauté ».

Ce calendrier est le symbole du projet éducatif de l’école : être une « école productive ». Ainsi, aux matières générales qui sont enseignées le matin s’ajoutent toute une série d’ateliers que les enfants choisissent selon leurs préférences. « Ce qui compte ici avant tout, c’est que les enfants puissent apprendre la musique, le théâtre, mais aussi à cultiver la terre, puisque c’est ce que font la grande majorité des parents et ce que beaucoup de nos élèves seront amenés à faire un jour, si le modèle de vie qu’ils voient à la télévision ne les encourage pas à partir ».

En 2005, l’ambition de la directrice est de parvenir à doter l’école d’un terrain d’expérimentation. « On aimerait l’an prochain parvenir à acquérir une parcelle pour y développer un petit élevage ainsi qu’une petite plantation. En tant qu’école productive, un de nos objectifs à terme est de parvenir à produire notre propre nourriture ».

Un projet politique

Le projet pédagogique de l’école constitue également un projet politique. Comme l’explique la directrice, l’école bolivarienne « doit contribuer à changer le pays. Et pour cela il faut changer de paradigme ».

Un des moteurs de ce changement de paradigme est de faire de l’école une partie intégrante de la communauté. La directrice insiste : « Il faut que les gens de la communauté voient l’école comme la leur et intégrer l’éducation des enfants dans la vie de la communauté ». C’est dans cette perspective que le projet de l’école fut élaboré, conjointement avec les habitants du village.

« L’important, ajoute une enseignante, ce n’est pas que les enfants arrivent à 7h et repartent à 16h, c’est qu’ils s’intègrent à la communauté par le biais de l’école ». Et inversement, la communauté dispose d’un droit de regard sur les activités de l’école. « Qui doit évaluer les enseignants ? c’est la communauté, explique un parent d’élève, parce que l’éducation est de la responsabilité des parents et des enseignants. Ça fait partie de la lutte sociale. Il ne faut pas oublier que nous venons de la Quatrième République, et même de la Troisième, de la Seconde et de la Première ! ».

L’éducation doit être « intégrale et ouverte sur la communauté, sa vie, ses réalités » précise la directrice. Le projet d’une petite plantation experimentale pour l’école s’inscrit dans cet esprit d’ouverture. Il participe également au « développement endogène » prôné par la révolution bolivarienne et que chacun dans le village revendique, tel Maximiliano, producteur à La Virgen et parent d’élève : « le développement endogène, c’est un développement de l’intérieur, que les ouvriers, les paysans, se développent de l’intérieur. Et qu’ils irradient ensuite vers l’extérieur leurs créations et leurs savoirs. C’est important que les maîtres soient convaincus de l’importance du développement endogène. Parce que c’est une logique qui rompt avec la logique libérale du : « je t’aide si tu me donnes ».

L’ouverture de l’école sur la communauté se traduit également par la possibilité pour tous d’y suivre l’une des missions éducatives qui y sont dispensées de 16 à 22h. Ainsi, la Mission Robinson, spécialisée dans l’alphabétisation, compte une centaine de participants, de même que la Mission Ribas qui leur permettra d’obtenir l’équivalent du baccalauréat. « Des gens viennent du village mais aussi du Copei, de Camunare Rojo, San Ramon et d’autres villages alentours » précise la directrice. La mission Vuelvan Caras y est aussi présente, celle-ci dispensant des cours autour des techniques agricoles, de la cuisine, de la couture ou encore de l’élevage de volaille.

La révolution dans la révolution (2)

Carmen Espinoza dénonce toutefois les manques de moyens attribués à son école et aux établissements publics en général. « Le ministre de l’Education parle d’une éducation de qualité pour tous, d’un vrai apprentissage, mais on manque de moyens. Si par exemple une maîtresse fait un cours sur le pétrole, ça reste de la théorie, on n’a aucun moyen de transport à notre disposition pour emmener les enfants visiter un site de production. Idem pour le moment avec le travail que l’on peut faire autour de l’agriculture. Et on n’a pas un seul ordinateur, ni même une bibliothèque. Alors parler de modernisation de l’enseignement...On aimerait aussi pouvoir assurer les repas aux plus grands. La rupture à la fin de l’école primaire est trop violente, mais pour le moment on n’en a pas les moyens ». Le manque d’eau dont souffre le village impacte également l’école : « beaucoup d’enfants tombent régulièrement malades ». Les hépatites, notamment, sont fréquentes.

Pour les habitants les plus militants de la communauté, d’autres questions se posent autour de l’école du village en particulier, et des écoles bolivariennes en général. Parmi elles, la formation des enseignants. Comme le souligne Elizabeth Castaneda, ces derniers devraient être en mesure de véhiculer à la fois les idéaux révolutionnaires et les principes de participation, ce qui est loin d’être toujours le cas. « Les Missions, Robinson, Ribas, Sucre, etc sont toutes les bienvenues. Le problème c’est que le gouvernement emploie comme facilitateurs des personnes qui souvent ne font ca que pour gagner de l’argent alors qu’ils devraient être là d’abord pour diffuser des valeurs, la solidarité, la participation, l’amour de la patrie ». Le problème se pose également au sein de enseignants de l’école, recrutés par concours, la plupart formés au cours de la République antérieure, et pour beaucoup non issus de la communauté. « On essaie de les convaincre de s’installer au village, explique la directrice, mais beaucoup préfèrent faire des allers-retours. Dans ces conditions, l’intégration de l’école au sein de la communauté n’est pas toujours très facile ».

Un parent d’élève précise ce sentiment : « l’école bolivarienne est un rêve, une utopie, que l’on a depuis de nombreuses années. Il y a des failles, ce qui est normal dans tout processus. Faire de nouveaux républicains (en rupture avec l’esprit IVeme République) n’est pas une chose facile... »

YARACUY (3)

Un contexte institutionnel favorable à un changement radical des structures de propriété

Les mois de décembre 2004 et de janvier 2005 constituent un tournant dans la politique agraire du gouvernement Chavez. Les principes édictés dans la Constitution commencent à se concrétiser. Ainsi, lundi 10 janvier fut signé par le président et les gouverneurs de province un décret marquant le début de la réorganisation de l’utilisation des terres productives publiques et privées du pays, le décret dit “Guerre contre le latifundio” [9] .

Au lendemain des élections régionales qui ont vu le camp chaviste remporter 20 des 22 Etats que compte le pays, les rapports de force au niveau régional se sont en effet modifiés. Aussi, dès le lendemain de la promulgation du décret présidentiel, différents gouverneurs ont fait adopter des « décrets sur la terre » qui pourraient signer le début de la fin du système latifundiaire dans le pays.

Le système latifundiaire

« Quelque soit sa forme, le latifundio signifie pauvreté et exclusion. En tant que grande propriété non cultivée ou insuffisamment cultivée, le latifundio soustraie de grandes superficies de terres à l’économie productive et génère un nombre considérable de paysans sans terre, c’est-à-dire sans possibilités ou alors avec de très faibles possibilités de subsistances. En tant que système de production (...) il ne génère qu’exploitation et pauvreté des paysans, ces derniers devant restituer une part de leur travail au latifundiste, dont le rôle s’apparente à un parasite dans la mesure où il ne fait que recevoir une « rente » du seul fait d’être propriétaire de la terre » (Vea, 12/01/05).

Au Vénézuéla, 80% de la surface cultivable est aux mains de 5% des producteurs. Et 75% des paysans se partagent 6% du territoire. Comme devait le souligner Hugo Chavez lors de l’adoption du décret sur la terre, “une démocratie qui permet cela est une pantomine”. Pour lui : “ la lutte et la victoire contre le latifundio est comme l’oxygène de cette révolution, c’est un aspect essentiel de la vie de notre peuple”.

Dans l’Etat de Yaracuy comme ailleurs dans le pays, le système latifundiaire est très développé. Ainsi, les années 1960 renforcèrent le poids de ce système avec la réforme agraire. Comme le rappelle Elizabeth Castaneda, membre d’une coopérative dans le village de La Virgen, « dans la région, la réforme agraire a étranglé de dettes les petits paysans. Quand ce n’étaient pas les grands propriétaires qui les expropriaient, beaucoup ont du abandonner leurs terres et se réfugier dans la montagne ». « Cela fait plus de cinquante de 50 ans qu’on lutte pour récupérer les terres des grands propriétaires, remarque Jose Luis, producteur dans une coopérative de Urachichi, un village proche de La Virgen. Depuis la révolution cubaine ». Les paysans durent alors affronter pendant des années une répression particulièrement violente de la part des grands propriétaires, qui, quand ils n’avaient pas leur propre milice, pouvaient recourir à la police de l’Etat. Les années 90 furent ainsi marquées par de nombreux assassinats parmi les leaders paysans, comme par de multiples tentatives d’intimidation, brutalisation et viols perpétrés par lesdits « pantalones », les forces de police de l’ancien gouverneur Eduardo Lopez.

Après des années de lutte, les paysans de Urachichi sont ainsi parvenus en 2002 à récupérer les terres laissées en friche d’un latifundiste local. La coopérative Aracal, avec ses 300 hectares, permet aujourd’hui à plus de 300 familles de vivre directement du travail de la terre. « Lorsque les articles 89 et 90 de la Constitution furent adoptés celui qui détenait ces terres ne pouvait plus rien faire pour s’y opposer » explique Jose Luis.

La base constitutionnelle

La lecture de quelques articles de la Constitution et de la Loi sur les Terres permet de prendre la mesure de l’importance des changements en cours. Une première dans l’histoire du Vénézuéla. Et plus généralement un dispositif législatif qui aujourd’hui a peu de pareils dans le continent comme ailleurs dans le monde.

Article 307 de la Constitution : « le régime latifundiste est contraire à l’intérêt social. La loi stipulera la conduite à suivre en matière fiscale pour grever les terres oisives et établira les moyens nécessaires pour leur transformation en unités économiques productives, récupérant également les terres à vocation agricole. Les agriculteurs, agricultrices comme les producteurs et les productrices agropastoraux ont le droit de posséder la terre, dans les cas et formes spécifiés dans la loi. L’Etat protègera et promouvra les forces associatives et particulières de propriété pour garantir la production agricole... »

Article 1 de la Loi sur les terres : « le présent décret a pour objectif d’établir les bases du développement rural intégral et soutenable, ce dernier étant entendu comme le moyen fondamental pour le développement humain et la croissance économique du secteur agricole au sein d’une juste distribution des richesses et d’une planification stratégique, démocratique et participative, éliminant le latifundio en tant que système contraire à la justice, à l’intérêt général et à la paix sociale dans les campagnes, assurant la biodiversité, la sécurité agroalimentaire et la mise en vigueur effective desdroits de la protection environnementale et agroalimentaire pour les générations présentes et futures ».

Article 89 de la Loi sur les terres : « ...l’Institut National des Terres pourra pratiquer une intervention sur les terres objet de récupération qui se trouvent être oisives ou incultes (...) de manière préventive afin de faire cesser leur situation irrégulière... »

Article 90 de la Loi sur les terres : « les occupants illégaux ou illicites de terres publiques susceptibles d’être récupérées ne pourront réclamer aucune indemnisationselon le concept de l’usufruit obtenus sur ces terres occupées illégalement ».

Article 5 du décret 3.408 : “Création temporaire d’une comission agricole nationale pour l’insertion dans le processus productif et destiné au développement agraire national des terres oisives, abandonnées ou sous-utilisées, en coordination avec les Etats et les municipalités, avec pour but de formuler des politiques sectorielles pour l’élimination progressive du latifundio dans les terres à vocation agricole au niveau national, ainsi que l’asignation de ces terres à des groupes de populations et à des communautés organisées pour l’exploitation productive et soutenable de la terre”.

Ainsi le décret adopté dans l’Etat de Yaracuy autorise les interventions sur les terres publiques illégalement occupées par les latifundistes. Dans l’Etat de Monagas, le décret va plus loin puisqu’il autorise la récupération des « terres oisives » publiques comme privées. Et dans celui de Cojedes, cette récupération pourra intervenir tant dans l’espace rural que dans l’espace urbain. La réforme du régime de propriété ne va donc pas partout à la même vitesse. Mais le processus est en cours...

La révolution dans la révolution (3)

Toutefois, certains articles de la Constitution, comme le font remarquer les petits producteurs de La Virgen, ne favoriseraient pas l’avancée à grand pas du processus.

Ainsi Candido èvoque l’article 115 de la Constitution. Ce dernier précise : « le droit de propriété est garanti. Toute personne a le droit d’utiliser, de jouir et de tirer profit de ses biens. La propriété sera soumise à contributions, restrictions et obligations que la loi établira à des fins d’utilité publique ou d’intérêt général. Seul en raison d’utilité publique ou d’intérêt social, par le biais d’un jugement et du paiement d’une juste indemnisation, pourra être déclarée l’expropriation de quelque catégorie de biens ». Pour ce producteur à La Virgen, « il y a là une des contradictions fondamentales du régime actuel...comment peut-on se dire révolutionnaire et garantir le droit de propriété ? ».

Et en effet, les articles 89 et 90 de la Loi sur les terres ont fait l’objet de recours administratifs de la part des grands propriétaires, ces derniers prétextant que ces deux articles étaient de fait anticonstitutionnels. Un nouveau recours administratif les a toutefois intégralement réhabilités. Partout dans le pays, quand l’INTI (institut national des terres) ne pratique pas une forme d’intervention préventive, des paysans ont ainsi commencé à « envahir » les « terres oisives ». Une situation de fait qui cependant ne signifie pas l’aboutissement du processus. Dans de nombreux cas manque l’attribution d’actes officiels de propriété.

Or comme l’explique cet éditorialiste du quotidien Vea, « ...même dans les cas d’ « invasions » des latifundia par les paysans, ceux-ci ne sortent pas de la pauvreté parce qu’ils n’ont aucune sécurité concernant la possession de la terre, et parce que plus généralement, leur production y est menée de manière très rustique ou avec une productivité très faible. Les « invasions » des latifundia constituent des formes désespérées de subsistance, mais cela ne change en rien la structure sociale dans les campagnes. Aucune des formes que génère la propriété latifundiste peut changer le fait fondamental de son « statut » comme structure même de sous-développement, de retard dans les relations de production ; en tant que source de dépendance, en tant qu’obstacle fondamental pour donner au pays la capacité d’alimenter sa population par ses propres moyens, en tant que facteur qui empêche le plein développement d’une stratégie de défense nationale. Tant que le latifundio ne sera pas éradiqué, la pauvreté perdurera dans les campagnes vénézuéliennes. La pauvreté de centaines de milliers de paysans non seulement est une profonde injustice sociale, un vecteur de marginalisation, de vendeurs de rue, de bidonvilles dans les villes, ou de misère, mais en plus il restreint le marché intérieur pour l’industrie nationale. Tant que des centaines de milliers de paysans vivront dans la pauvreté, nous n’atteindrons pas le développement industriel. Et nous resterons un pays dépendant des grandes puissances industrielles » (Vea, 12/01/05).

Et comme le remarque Jose Luis, « il y a une chose qui manque dans la loi, c’est qu’elle ne mentionne pas le féodalisme, alors que le nombre de paysans qui travaillent sur des terres qui ne leur appartiennent pas pour le seul bénéfice d’un soit disant propriétaire terrien qui ne travaille pas et perçoit uniquement une rente, est très important dans le pays ».

Un processus en cours donc...et à suivre...

YARACUY (4)

Des failles : le système de financement des producteurs -ou de la dépendance aux OGM-

Les murs de La Virgen témoignent de l’attention portée à l’environnement et de l’effort de sensibilisation réalisé à l’égard de la communauté dans son ensemble. « Cuidemos nuestra ambiente entre todos » [10] , « cuida tu naturaleza [11] , sont des exemples de messages accompagnant les peintures d’enfants ornant les murs blancs du village. « Nous, ce qu’on veut c’est que l’argent de l’Etat finance une agriculture biologique » affirme Elizabeth, en accord avec la volonté partagée par les producteurs du village de développer un autre type de productions agricoles.

Dans ce village de campesinos, la quasi totalité des exploitations sont des coopératives de quelques dizaines d’hectares.

C’est là, dans une des salles de classe de l’école bolivarienne de La Virgen que se déroule la table de travail sur le « développement endogène et les semences transgéniques ». Un sujet majeur dans cet Etat qui fut le premier du Vénézuéla a décréter officiellement la lutte contre les organismes génétiquement modifiés (décret n°090 du 30 décembre 2004). Une cinquantaine de participants sont présents, papier et stylo en main. Beaucoup ont apporté avec eux la Constitution ainsi que la Loi sur les terres.

La révolution agraire, quarante ans après...

Le débat témoigne d’une forte inquiétude des producteurs. La perte des savoirs-faire locaux et la disparition d’espèces traditionnellement cultivées dans le pays en constituent une première raison. « Je suis très préoccupée, explique Andréa. Les transnationales veulent nous faire oublier comment conserver nos propres semences qui traditionnellement sont très variées. Rien que pour la maïs, il y a le noir qui sert aussi comme plante médicinale, le jaune que l’on utilise pour la chicha, une de nos boissons traditionnelles et le blanc ». « Ici, on dispose de huit types de semences de maïs », ajoute un producteur. « Le problème, explique un autre participant, c’est qu’ici il y a beaucoup de producteurs qui n’utilisent plus leurs propres semences et qui ont oublié les anciennes techniques de production ». Un ingénieur en agronomie présent lors de la rencontre explique : « c’est à partir des années 1960 et 1970 que l’on a commencé à perdre notre savoir-faire ». D’après lui, « il est urgent de parler avec ceux qui ont conservé un autre type de technique agraire ».

Autre sujet d’inquiétude : depuis la révolution agraire des années 1960, la recherche d’une productivité à tout crin, l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides en tout genre ont provoqué une dégradation notable de la qualité des sols. L’esprit productiviste n’a pas pour autant disparu. Candide en témoigne : « ici nous avons beaucoup d’expérience concernant les pratiques agricoles. Mais penser que l’on pourra faire pousser 10 00 kg de maïs par hectare c’est de la folie. 3 000 kg, c’est suffisant, au-delà c’est du masochisme. Ou alors on sacrifie la terre en utilisant tous les fertilisants chimiques et les pesticides possibles ». Un sacrifice au profit de la finance internationale, comme le souligne cet autre producteur : « ce qui est fou, c’est qu’on a importé pendant des années des produits chimiques qui sont de vrais poisons, qui nous ont rendu malades. Alors que tout l’argent partait aux Etats Unis... »

Evoquer le sujet de l’agriculture, c’est en effet s’attaquer au problème de la souveraineté nationaleau niveau alimentaire. Une souveraineté à conquérir dans un contexte de dépendance séculaire de la production agricole vénézuélienne. Comme l’explique Antonio Ivara, technicien agricole : « Cette relation de production inégale est propre au capitalisme. C’est le capitalisme qui impose aux producteurs la semence qu’il va utiliser. Le capitalisme, c’est la dépendance. Pour aboutir un jour à notre souveraineté, à notre indépendance, il faut penser un autre type d’organisation. on ne doit pas avoir peur. On doit lutter. On a de l’expérience et un savoir-faire, on doit pouvoir faire avancer les choses »

Les organismes de prêts, instruments de la dépendance

Parmi les sujets de discussion abordés par l’assemblée réunie autour de la table de travail, l’un d’eux préoccupe fortement les participants : les circuits de financements de l’agriculture et plus particulièrement, les pratiques perpétrées par les deux organismes dont dépendent les petits producteurs.

Le premier est la Fundafa, un organisme de crédit crée en 2004 par l’Etat dans le but d’orienter prioritairement les aides publiques vers les coopératives agricoles, et ainsi de donner aux petits producteurs un accès au crédit. Première critique récurrente chez les producteurs, l’inefficacité de cette administration serait très dommageable au producteur. Jose Luis, membre de la coopérative Aracal, explique la situation : « un de nos problèmes, c’est que les prêts n’arrivent pas à temps. C’est un problème encore de bureaucratie. On doit faire nos semences en avril, or le prêt n’arrive qu’en mai ou juin, au moment où il n’y a plus d’eau »

Le second est la Casa Comercial AgroIslena, un établissement commercial privé. « On ne peut absolument pas choisir nos semences, ajoute Jose Luis. Lorsque l’on demande un prêt à la Fundafa, on ne reçoit pas directement l’argent, c’est AgroIslena qui reçoit le chèque et on est contraint de s’approvisionner chez eux et bien sûr de les rembourser ». AgroIslena se trouve de fait l’exclusif bénéficiaire de ce système de crédit, l’entreprise vendant semences, fertilisants, insecticides, herbicides comme toutes les machines et instruments agricoles nécessaires.

Le financement de la Fundafa ne profite donc pas directement au secteur agricole mais au secteur producteur des fertilisants et autres produits chimiques. Pour Candido, « la Fundafa a été créée comme une nouvelle structure de domination ».

La révolution dans la révolution (4)

Là encore, le Processus n’est pas encore abouti. Comme l’affirme Pedro, un autre petit producteur : « AgroIslena se trouve de fait en situation de monopole, ce qui est juridiquement illégal... ». « Et en plus, renchérit un autre participant à la table de travail, l’achat de ces semences, parce qu’elles sont produites à l’étranger, est contraire au principe de souveraineté ». AgroIslena en effet vend presque exclusivement des produits importés. D’où une situation de dépendance extrême pour le Vénézuéla, puisque la quasi totalité du maïs qui y est cultivé est importé...

Dépendance et atteinte à la biodiversité sont étroitement liées. Ainsi, la variété des semences vendues par AgroIslena est quasi nulle. Et surtout, parmi ces semences vendues aux producteurs, une grande quantité se trouve de fait génétiquement modifié faute d’une législation adéquate et d’organismes de contrôle performants. Un obstacle majeur à la sauvegarde de la biodiversité et à l’indépendance des producteurs que le projet politique de l’Etat de Yaracuy de « lutte contre les transgéniques » devra lever...

Comme le rappelle Antonio Ivara : « le maïs transgénique pose au producteur toute une série de problème. Tout d’abord la semence ne se reproduit pas ce qui rend le producteur dépendant de multinationales. Et comme les OGM sont soumis au régime de la propriété intellectuelle, ces mêmes multinationales détiennent le contrôle de l’information. Quand les tests sur le lait de soja ont révélé les dommages que pouvaient causer le produit, les informations n’ont pas été communiquées, ni aux consommateurs, ni aux producteurs. L’économie n’est plus au service de l’humanité, c’est l’humanité qui est mise au service de l’économie ».

Plus généralement, la question agricole est en passe de devenir une question de santé publique. Un article paru le 09.01 dans le quotidien Vea faisait ainsi part du scandale de la fumoninisina, vendue par AgroIslena et contenant une micotoxine dommageable pour la santé. Plus généralement, comme le souligne Antonio Ivarra, l’utilisation de semences de maïs importées pourrait avoir des impacts à grande échelle sur la santé : « les arepas [12] avec la farine industrielle de maïs ne contiennent que1% de fibres. Avec du maïs pilé, elles en contiennent 17%. Ça aura une incidence sur le cholestérol. C’est un problème de santé public. Il faut poser la question d’une agriculture soutenable, développer des technologies alternatives. C’est une question de souveraineté et d’indépendance agroalimentaire. Et redonner de la force aux valeurs familiales, à la cuisine traditionnelle ».

Propositions de la table de travail

Au terme des deux journées de réflexion collective, différentes propositions ont émergées. Sans entrer dans les détails en voici les principaux points.

Tout d’abord, rendre au producteur la liberté de choisir ses outils de production. Tous les participants sont unanimes à ce sujet : « on doit pouvoir choisir nous-mêmes nos semences ».

Cela suppose tout d’abord une réforme du système de financement des coopératives, afin de libérer le paysan de sa dépendance à l’égard de la Fundafa et de la Casa commercial en créant un fond financier autogéré par les producteurs ou un système de crédit coopératif. Ainsi, pour Maximo Viscaia, producteur à La Virgen : « il faut créer un institut économique communal qui propose des crédits flexibles aux producteurs. Et que le crédit soit directement donné aux producteurs, pas seulement pour la semence, mais aussi pour qu’ils puissent manger, s’acheter des vêtements, financer les études de ses enfants. Pour le libéralisme, l’important c’est la productivité, et donc on aide le producteur que sur un plan strictement agricole ». Comme le rappelle un autre producteur, la loi ne peut aller que dans ce sens, ce dernier citant à ce propos l’article 306 de la Constitution : « l’Etat (...) garantit à la population paysanne un niveau adéquat de bien-être ». Cette réforme du système de crédit aux producteurs permettrait également de dynamiser le processus de développement endogène encouragé par la Constitution. Maximo Viscaia insiste sur ce point : « Pour nous l’important c’est l’être humain, et c’est cette vision qui est défendue dans l’idée de développement endogène ». « Le développement endogène, précise Jose Luis, c’est le développement depuis l’intérieur. C’est l’inverse du développement linéaire que prône le libéralisme, avec un but unique, et une fois que c’est terminé, c’est terminé. Le développement endogène, c’est le développement de l’être humain. Il prend en compte le fait que tout ce qui entoure l’homme affecte la production ».

La liberté de choix du producteur suppose également la fin du monopole de la vente de semences par la Casa commercial. Car comme le rappelle Candido : « la question principale, c’est comment produire nos propres semences ». L’alternative est déjà trouvée : « nous sommes habitués à utiliser des semences importées, constate un participant. Pourquoi ne pas développer notre propre banque de semences ? pourquoi ne pas créer ici en Yaracuy un laboratoire qui travaillerait sur des fertilisants naturels ? parce que vous avez déjà goûté de ces gros poivrons magnifiques, énormes, brillants ? ils n’ont aucun goût et le soir même ils sont immangeables... ». Créer une banque de semences participative et agroécologique au niveau local et régional permettrait en effet de revaloriser la production de semences artisanales à partir des savoirs-faire traditionnels. L’enjeu, comme le rappelle Candido, est la souveraineté alimentaire du Vénézuéla : « on doit faire comme en Inde où le peuple s’est mis à produire ses propres vêtements pour se libérer de l’impérialisme anglais. On doit faire la même chose avec nos semences ». « On doit se réapproprier nos propres savoirs » ajoute un producteur.

Au niveau régional, les producteurs doivent donc s’organiser pour faire valoir leurs propositions au niveau de leur Etat. « Beaucoup de gens ici appartiennent à des organisations, souligne un producteur, et nous avons à notre disposition un instrument légal : la Constitution. A travers nos organisations, on doit exiger de nos dirigeants l’application de la législation ». « Ce qu’il faut, c’est aussi une volonté politique, ajoute Luis, celle de nos gouverneurs et des fonctionnaires des administrations publiques ». La Constitution met un outil politique à leur disposition : les Conseils Locaux de Planification au sein des conseils municipaux. Les producteurs espèrent pouvoir rapidement s’en servir par le biais de leurs organisations : « L’article 182 de la Constitution crée les Conseils Locaux de Planification qui sont présidés par le Maire mais intègrent en leur sein les représentants des organisations présentes sur le territoire de la commune. Si on renforce notre participation dans cette instance, on pourra directement intervenir dans la gestion des subventions de la Fides, qui jusqu’à maintenant étaient exclusivement dans les mains du pouvoir municipal ».

Enfin, au niveau national, demander au gouvernement d’informer dans un premier temps les producteurs quant à la qualité des produits. Antonio Ivarra insiste à ce sujet : « il faut que l’Etat informe les producteurs sur la qualité des produits utilisés, et en particulier sur les transgéniques, leur nocivité ». Et surtout lui demander à moyen terme d’intervenir sur les OGM : « il faut demander au gouvernement un décret pour interdire la commercialisation de semences transgéniques dans le pays ». Tous les participants sont d’accord sur ce point qui sera reformulé à plusieurs reprises en plénière le dernier jour des tables de travail.


[1] Les montagnes de Yaracuy abritèrent la guérilla. Douglas Bravo notamment

[2] La répression par les forces de l’ordre lors des émeutes des 27 et 28 février 1989 fit dans le pays plus de 5 000 victimes (officiellement 380).

[3] Mot d’ordre de l’opposition en référence à la question posée lors du référendum du 15 août 2004 : pour ou contre le départ de Hugo Chavez.

[4] « Le titre de maître d’école ne doit pas se donner à celui qui sait enseigner mais à celui qui enseigne comment apprendre »

[5] « A César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu, au peuple ce qui est au peuple »

[6] « Les Etats Unis, au nom de la providence et de la liberté sont prédestinés à infester l’Amérique de misère »

[7] Mot d’ordre lancé par Chavez au lendemain de la victoire électorale du 31 octobre 2004. Il s’agit, par ce biais, d’ « accélérer » le processus de la Révolution bolivarienne.

[8] Les arepas sont des petits pains de maïs, incontournables dans la cuisine vénézuélienne.

[9] Décret numéro 3.408

[10] « prenons soin en priorité l’environnement »

[11]  »« prends soin de la nature »

[12] galettes de maïs omniprésentes dans l’alimentation vénézuélienne.


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