Hola compañeros !
Comme promis, je vais vous raconter cette histoire extraordinaire de l’usine Venepal, exemple parmi d’autres de ce qui se passe au Vénézuéla et qui va à l’encontre de tout ce que vous devez certainement lire dans la presse (type le nouvel obs) où l’on ne cesse de dénoncer l’absence d’avancée du « soi-disant processus révolutionnaire bolivarien ». En bref, une nouvelle incitation à une lecture critique de l’information : le Vénézuéla connaît indiscutablement un processus de changement social qui, s’il ne remet pas en cause les mécanismes de l’économie de marché, conduit à une amélioration réelle des conditions de vie et de travail de centaines de milliers de Vénézuéliens.
Donc Vénépal...
L’histoire du mouvement syndical vénézuélien est peut-être aujourd’hui à un tournant. L’aboutissement de la lutte des ouvriers de l’entreprise de papier Venepal, rebaptisée Invepal après la victoire emportée par les travailleurs, pourrait en effet lui donner un nouveau souffle après son fourvoiement dans le lock-out patronal de décembre 2002-janvier 2003.
Mercredi 19 janvier, Hugo Chavez signe le décret présidentiel N°3.438. Celui-ci énonce l’expropriation des biens de l’entreprise Vénépal. Par ce décret, l’exécutif accède donc aux revendications des travailleurs de l’entreprise en leur confiant la responsabilité de la sauver complètement, en co-gestion avec l’Etat. L’entreprise fonctionnera en effet avec un capital mixte, l’Etat en étant le principal actionnaire avec 51% des actions, les ouvriers étant détenteurs des 49% restants.
On ne peut comprendre la portée de cette victoire syndicale sans revenir sur l’histoire des deux années de lutte menées par les travailleurs de Vénépal.
L’histoire de ce mouvement ouvrier commence fin 2002-début 2003 lors du lock-out patronal. Les travailleurs de cette usine de papier située à Moron, dans l’Etat de Carabobo, décident de résister à la paralysie de l’entreprise par leurs employeurs. A cette époque, l’entreprise, qui jadis employait 1 600 personnes, contrôlait 40% du marché national de papier ainsi qu’une part importante de cette production en Amérique latine connaît une perte de vitesse. La direction de l’usine, par sa gestion, a fait progressivement perdre à l’entreprise des parts de marché et des revenus. Une perte de vitesse contemporaine de l’opposition affichée de ses actionnaires au pouvoir en place, certains d’entre eux ayant notamment participé à la cérémonie d’intronisation de Pedro Carmona, président autoproclamé pendant les quelques heures que dura le coup d’Etat militaire contre Hugo Chavez en avril 2002.
Quelques mois plus tard, en juillet 2003, l’entreprise se déclare finalement en faillite et licencie 600 travailleurs à qui elle devait de surcroît une grosse somme de salaires impayés. « L’entreprise avait contracté 100 millions de dollars de dettes auprès de banques (60% auprès des banques internationales Citibank et Chase Manhattan, et 40% auprès de banques nationales), elle devait en plus à l’Etat vénézuélien 30 millions de dollars d’impôts impayés, de charges, de factures de gaz et d’électricité, etc » (Jorge Martin, Risal, novembre 2004). A la suite d’une assemblée générale à laquelle participèrent les organisations syndicales locales, les salariés décidèrent alors d’occuper l’usine. Un conflit acharné, dans un Etat dirigé par un gouverneur opposé à Chavez, qui devait durer 11 semaines, et pendant lequel les ouvriers de l’usine en assurèrent la gestion et la direction. D’après un militant syndicaliste, Rowan Jimenez, "les travailleurs ont organisé la production, ont battu tous les records de productivité et ont réduit le gaspillage dans des proportions jusqu’alors inégalées." (El Topo Obrero le 16 septembre 2004). Ils exigent alors que la propriété légale des moyens de production soit transférée par le gouvernement à une coopérative ouvrière, qui deviendrait responsable de l’organisation de la production.
Au terme de ces trois premiers mois de lutte, un accord fut conclu, promettant le paiement des salaires dus ainsi que le maintien de 400 à 600 emplois. L’usine en revanche restait aux mains de ses anciens propriétaires et bénéficiait d’un investissement de l’Etat sous forme de crédits à taux préférentiel. Une victoire jugée partielle par les travailleurs. Mais de fait, durant les mois qui suivirent, les travailleurs par le biais du syndicat, instaurèrent une forme de gestion ouvrière. « Par exemple, lorsqu’en décembre 2003, la direction leur a annoncé que leurs salaires et les primes de fin d’année leur seraient versés en deux fois, en décembre et en janvier, les travailleurs répliquèrent en affirmant qu’ils appliqueraient le même principe à la production ! Toutes les décisions concernant la production, l’inventaire, l’embauche et les licenciements, etc, étaient supervisées par les travailleurs. C’était là une trêve inconfortable qui ne pouvait pas durer » (Jorge Martin, Risal, novembre 2004).
Et effectivement, le 7 septembre dernier, les propriétaires de l’usine décidèrent de nouveau de cesser leurs activités et de ne pas payer les salaires de leurs 400 employés. Prétextant une situation de cessation de paiement, ils pensent ainsi pouvoir revendre les actions de la société à Smurfit, une des plus grosses multinationale mondiale du secteur papier déjà engagée dans Vénépal et de délocaliser la production en Colombie. Une manière de se débarrasser également de ces travailleurs militants. Le précédent du rachat de la compagnie aérienne nationale Viasa par Ibéria dans les années 1990 a profondément marqué la conscience ouvrière.
Une nouvelle occupation de l’usine alors s’engage. Les travailleurs adoptent un slogan : la "Nationalisation de Venepal sous gestion ouvrière" et expliquent, dans de nombreuses assemblées, comment, dans les mains d’une multinationale, une part énorme de la richesse du peuple vénézuélien serait perdue et comment, nationalisée, Vénépal pourrait au contraire faire avancer la cause révolutionnaire grâce à la production de papier notamment pour les "Misiones", mais aussi par la redistribution aux petits producteurs des 5.000 ha de terres possédés par l’entreprise et la mise à disposition des communautés de ses équipements non utilisés - des moulins, maisons abandonnées, une école, mais aussi des herbages, un stade de base-ball, un hôtel équipé d’une piscine et un aérodrome. Une marche régionale en soutien aux travailleurs de Venepal est organisée. Les travailleurs de dizaines d’usines de la région s’organisent en syndicats affilés à l’UNT. Le 6 octobre, à Valencia, la capitale de l’Etat de Carabobo, une réunion de l’UNT a lieu, réunissant plus de 50 dirigeants syndicaux de cet Etat, où siègent une grande partie des industries du pays. Les autres syndicats ont fait également preuve d’une solidarité impressionnante. Des collectes de dons pour les travailleurs de Vénépal sont organisées.
Cette seconde occupation de l’usine durera 5 mois. Après avoir été de nouveau déclarée en faillite au mois de décembre, le 13 janvier, Vénépal est récupérée par l’Assemblée nationale en tant que « bien d’utilité public et de bénéfice social ». Une « atteinte aux droits à la propriété », pour les médias de l’opposition (Reporte, 21/01/2004). Le 1er février, Vénépal devient Invépal [industria venezolana de pulpa y papel] et passe aux mains des travailleurs. Pour la ministre du travail, Maria Cristina Iglesias, « le cas Vénépal démontre que les travailleurs peuvent mettre en déroute les monopoles, produire le meilleur papier du monde et œuvre conjointement avec les communautés pour le développement endogène des municipalités qui l’entourent » (Ultimas Noticias, 1/02/2005). Pour le président Hugo Chavez, il s’agit d’un « premier pas dans le changement des conditions d’exploitation instaurées par le modèle capitaliste, ainsi que pour la récupération du tissu industriel national ».
La victoire de ce mouvement ouvrier suscite un énorme élan d’espoir tant parmi les travailleurs qu’au sein de la population vénézuélienne acquise au processus mais qui en attend des signes tangibles. Elle marque aussi un renouveau syndical autour de l’UNT, syndicat crée après le lock-out patronal de 2002-2003, et pourrait avoir une portée significative sur l’évolution du processus dans le domaine de l’industrie. Mais le gouvernement l’a répété : l’objectif n’est pas de tendre à l’expropriation des propriétaires des moyens de production. Avant d’en arriver à une telle extrémité, le gouvernement promet d’appuyer les entreprises nécessiteuses par des subventions publiques. Toutefois, en cas de faillite envisagée, les entreprises pourront, avant toute fermeture, mettre en place un système de co-gestion avec leurs employés. Il n’en reste pas moins que la création de Invepal démontre le pouvoir de la participation des travailleurs et, dans les mois qui vont suivre, du développement endogène, par la création programmée de toute une série de coopératives sur le domaine détenu par l’entreprise. D’ores et déjà, l’école populaire et latinoaméricaine de ciné y a délocalisée une partie de ses activités, afin de former les ouvriers aux techniques du documentaire...
Une affaire à suivre...d’autant que le cas Venepal Invepal semble deja commencer a faire des emules...