Pensées lointaines...

Depuis la côte d’Ivoire
vendredi 20 mars 2009.
 

L’année passée, dans mon quartier, j’avais fait fabriquer une petite table façon maquis au menuisier du coin. Il n’avait pas quinze ans. J’arrivai avec ma morale dite lumineuse, quoi mais quoi, faire bosser un gamin ? La table faite, j’étais allée la régler et la chercher. J’avais dit au petit « Mais, tu ne vas pas à l’école ? ». L’air malicieux de celui qui ne s’y fait pas prendre, il m’avait répondu « et toi, tu sais tailler le bois comme moi ? ». Silence. J’avais pris la table. Il m’avait encore jeté ce regard intrépide. Il avait pris la table, l’avait juchée sur sa tête, et fier comme un Dioula en marchant au côté de la blanche, il me l’avait livrée à domicile.

Save the children, l’ONG, est dans la place, à Abidjan, et s’installe partout où les gamins n’ont pas le cul sur le banc scolaire. Enfin, partout dans le « Tiers Monde » car sont-ils même à St Denis, en France, chez nous ? En entendant parler d’eux, en rencontrant l’une de leur employée, je me demande qui ils aident dans leurs actions. Ses enfants qui vont au champ le matin, à l’école l’après-midi, ces autres qui n’y vont pas du tout mais vivent dans la débrouille ? Ou bien nous et notre vision du monde ? En envoyant l’ONG sur place, on se donne bonne conscience. Et l’ONG fait son business...

Je me souviens de ton image, ami Florian, mon frère, lorsque tu revenais du Burkina. « Les ONG sont des pansements sur une jambe qui a la gangrène. On met ses pansements pour ne plus voir le mal, nous, gens du Nord »...

Je ne dirais pas que la jambe a absolument la gangrène, ou pour le moins, le corps entier a assez de ressource pour l’évacuer. Mais si nous lui laissons l’occasion de l’évacuer lui-même, si nous laissons enfin à ses pays la paternité de leurs actions...

Bien sûr, tout le monde doit avoir droit à l’éducation et bien sûr cela ne signifie pas qu’il faut rester loin, tourner le dos. Non. Mais seulement mettre à profit ce que nous savons faire en fonction de la demande locale, en connaissance réelle du terrain, en accord avec tous, et suivant leurs idées...

Alors, alors, peut-être, et comme nous le disions récemment avec des amis d’ici et de là-bas, des ONG africaines se monteront aussi pour venir nous apprendre la force de vie, le respect de l’autre dans la communauté, le langage du corps.... que nous tentions d’éradiquer nos maladies nerveuses, nos cancers prématurés, nos attitudes inhumaines à l’égard des vieux qui nous ont enfantés...

Si toutefois nous réfléchissions en termes de culture, donc de réelle interculturalité...

Je suis à l’orée du bois, du bois sacré, du bois étrange, du bois humain, du monde abidjanais... Je reste la blanche dont on vient toucher les cheveux et la peau, pour voir si c’est pareil, à qui l’ont dit « emmène-moi en France, j’y ferais ce que tu veux », ses phrases récurrentes qui m’attristent. Ici non plus, on n’est pas exempts de clichés liés à la méconnaissance des diverses réalités. Mais aux yeux de ceux qui me connaissent et que j’apprends à connaitre, je suis la fille, la petite sœur, venue d’ailleurs mais bien ici. J’apprends à chasser la paille qui est dans mon œil avant de jeter de péremptoires jugements, face à la force vitale défiant sans cesse la mort de ceux qui savent que peu fait déjà beaucoup. Et doucement, mon œil et mes oreilles me donnent l’occasion d’entrer plus avant dans cette vie.

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