Nous sommes tous des racailles

samedi 12 novembre 2005.
 
Textes et idées sur "l’insurection des banlieues" qui touche la France en ce moment.

Je vous en bas deux textes que j’ai reçu sur "l’insurrection des banlieues", qui devrait à mes yeux dépasser ce cadre géographique.

Je ne sais pas comment vous voyez les choses, mais pour moi c’est vraiment l’essence même de ce que construit le capitalisme, un monde coupé en deux, les miettes et les matraques pour les uns, le pouvoir et le confort pour les autres, et au milieu, ceux qui croient pouvoir aller dans le premier groupe, qu’on effraie du second pour rendre docile, mais qui y terminent, écœurés et sans espoir, rejeté de la sociétéqui les a pressés pour pouvoir fonctionner. La classe moyenne est appelé à disparaître ainsi, choisissant son camp, ou plutôt choisie par lui. Et le capitalisme qui criminalise la misère tout en la créant, tombera sans doute de lui même lorsqu’il aura tout sucé, tel un vampire, qui nécessitant chaque fois plus de sang, finit par ne plus avoir de proies. A l’échelle de la France comme du monde, le capitalisme nécessite une expansion constante, et quand il aura atteint le limites de la terre, et à moins qu’on ne trouve une autre planète habité, il implosera. Mais à quel prix ? Et qu’est ce qui restera à ce moment là ?

Pour l’instant il existe pas d’autre moyen que d’attendre ce moment en pansant les plaies qui ne cicatrisent pas. Heureusement il commence à y avoir en Amérique latine quelques espoirs, les rejets aux différents traités de libre échange, marquent une opposition chaque fois plus forte aux Etats unis ; L’ONU a voté, avec une écrasante majorité, contre le blocus de Cuba par les Etats-unis (qui ont dit qu’ils s’en foutaient royalement) ; les mouvements populaires sont chaque fois plus nombreux dans les différents pays. Et on voit même une proposition pour un socialisme du XXI ème siècle (voir àce sujet cette interview de Chavez). Mais malgré ces espoirs, les conditions de vie ici sont bien plus dure.

Voici le texte des indigènes de la république sur les émeutes, suivi d’un texte de marc haztfeld paru dans le monde : "je suis une racaille" je crois qu’il est capital pour nous et notre démocratie d’empêcher ces expulsions les mecs l’ont bien dit eux-mêmes : "nous ne sommes pas des casseurs, mais des émeutiers" et accepter sans broncher que l’on vire des émeutiers, c’est là réellement le début du fascisme il faut vraiment se battre pour que l’on reconnaisse d’une manière ou d’une autre le caractère politique de ces "événements" comme ils disent pour qu’on prenne la mesure nous sommes tous des racailles camille

PARIS (AP) - Nicolas Sarkozy a demandé mercredi aux préfets d’expulser immédiatement du territoire français les étrangers condamnés pour leur participation aux violences urbaines de ces derniers jours.

"Cent-vingt étrangers, pas tous en situation irrégulière, ont été condamnés", a expliqué le ministre de l’Intérieur lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale.

"J’ai demandé aux préfets que les étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, qui ont fait l’objet d’une condamnation, soient expulsés sans délai de notre territoire", a ajouté Nicolas Sarkozy.

Il a précisé que cette mesure concernait aussi les étrangers ayant un titre de séjour. "Quand on a l’honneur d’avoir un titre d séjour, on n’a pas à se faire arrêter en train de provoquer des violences urbaines", a lancé le ministre de l’Intérieur. AP

La réponse des indigènes de la république :

*Non au couvre-feu colonial !*

*La révolte n’est pas un crime !*

*Les véritables incendiaires sont au pouvoir !***

Brutalité permanente de la police, mépris de la douleur des gens après la mort de deux adolescents, gazage d’une mosquée, propos irresponsables des autorités de l’État, les provocations d’un pouvoir exclusivement préoccupé par les calculs politiciens et les échéances électorales ont mis le feu aux poudres, et servi de détonateurs à la révolte longuement rentrée de la jeunesse indigène ou indigénisée des quartiers populaires. On parle désormais d’envoyer la troupe pour mater cette révolte. On ne l’envisage, dans une logique de guerre civile, que pour parler de sa répression.

Victimes de toutes les discriminations, de toutes les humiliations, objets permanents du mépris social, de la brutalité policière, des contrôles au faciès, du racisme, privés d’avenir, précarisés, déclassés, rejetés, orientés par le système scolaire dans les voies de garage, interdits de se rassembler, toujours soupçonnés de tous les maux, privés de leur droit au respect et à la dignité, les jeunes des quartiers expriment leur révolte de manière spectaculaire et disent : « Nous n’avons pas d’autre moyen de nous faire entendre ! ». Face à une violence sociale et institutionnelle insupportable, leur révolte est plus que légitime : elle est salutaire. Elle constitue une réaction politique. En l’assimilant à la délinquance, en y opposant la répression brutale, en ajoutant le mépris à la provocation, le pouvoir souffle sur l’incendie qu’il a lui-même allumé.

Cette révolte confirme l’analyse que le Mouvement des Indigènes de la République a proposée depuis le lancement de son Appel en janvier 2005. La riposte des institutions de l’État est l’illustration de la gestion coloniale des populations issues de l’immigration, quel que soit le régime en place, de droite comme de gauche. Dominique de Villepin en est la dernière incarnation. L’actuel Premier Ministre a décrété l’état d’urgence et la possibilité pour les Préfets d’instaurer un couvre feu dans les quartiers populaires en s’appuyant sur une loi coloniale adoptée en 1955 pour réprimer le mouvement national algérien. C’est cette même loi qui a servi à mater dans le sang les manifestants algériens du 17 Octobre 1961 et qui a été mise en œuvre en Kanaky en 1984 sous le gouvernement socialiste de Laurent Fabius. La continuité des pratiques n’est donc plus à prouver. La matrice idéologique ayant permis ces crimes coloniaux animent toujours les manières institutionnelles de voir, de penser, de ressentir et de traiter administrativement les populations issues de la colonisation et assignées à résidence dans ces nouvelles zones d’indigénat que sont les quartiers populaires.

Quand à la proposition du " droit à l’apprentissage à 14 ans", ce n’est ni plus ni moins qu’une remise en cause de l’obligation de scolarisation jusqu’à 16 ans ; c’est un des acquis que la droite voulait démanteler depuis longtemps. Elle ose aujourd’hui le présenter comme une mesure "en faveur des déshérités" : c’est en réalité l’annonce cynique que, ilotes aujourd’hui, les habitants des quartiers populaires seront ilotes demain, et dès 14 ans.

Les formes prises par cette révolte conduisent à des violences et à des dégâts dont sont également victimes les populations déshéritées de ces quartiers. Nous tenons à affirmer notre plus entière solidarité à ces populations, et à celles et ceux dont les biens ont été endommagés ou détruits. L’État, responsable de la situation, doit sans délai les indemniser de la totalité du préjudice qu’elles subissent.

Ce qu’exige la jeunesse des cités, c’est d’être reconnue dans sa dignité, c’est de pouvoir vivre dans l’égalité et le respect. Il s’agit d’une exigence politique et sociale élevée, juste dans son principe, et à laquelle il est nécessaire de répondre politiquement.

Dès à présent, nous posons un certain nombre d’exigences

Bien évidemment, l’actuel ministre de l’intérieur doit être démis de ses fonctions s’il ne démissionne pas lui-même ; il en va de même du premier ministre qui approuve et soutient publiquement la répression de masse que son collègue organise. Mais nous ne nous faisons pas d’illusion sur les effets réels de ces démissions : si, symboliquement, le départ de ces boute-feu s’impose, il ne constitue en aucun cas une solution, ni un objectif de lutte prioritaire. Nous ne militons pas pour un clan contre un autre, nous ne nous faisons pas d’illusion sur les objectifs réels des politiques, de droite ou de gauche, qui lorgnent sur le pouvoir et dont l’horizon est borné par les élections à venir.

Des centaines de jeunes ont été interpellés et arrêtés par les forces de police dans le cadre des évènements en cours. Nous exigeons leur *libération immédiate*. Il convient de reconnaître aux faits qui leurs sont reprochés leur caractère politique, et de leur refuser un traitement judiciaire, dont la logique est celle de la provocation : les révoltés ne sont ni des « racailles » ni des «  sauvageons ». Ils doivent être entendus pour ce qu’ils sont, et pour cela *l’amnistie* pour les révoltés s’impose. Nous refusons qu’une justice plus ou moins expéditive frappe arbitrairement certains, et que les autres demeurent sous le coup d’un risque d’arrestation et de poursuites. À révolte politique, réponse politique.

Des parties entières de la Seine-Saint Denis et d’autres zones urbaines font l’objet d’une véritable occupation par des milliers de CRS ou autres gendarmes, dans une logique de guerre civile. *Nous exigeons leur évacuation sans délai*. La présence de ces forces de répression - et à plus forte raison celle de forces militaires - contribue, non pas à la « sécurité publique », mais à attiser la révolte des populations. Elle porte atteinte à leur dignité et constitue comme une punition collective que nous refusons.

Par centaines, des habitants des cités en révolte ont subi de gros dommages du fait des émeutes. *Ces victimes doivent être indemnisées immédiatement* ; l’intervention à cette fin des pouvoirs publics se justifie parfaitement par la responsabilité entière de l’État dans la situation actuelle.

Il est indispensable de faire la lumière complète et de dire *la vérité* sur les évènements qui ont déclenché la révolte : sur la mort de *Zyad Benna et Bouna Traoré* et sur le gazage de la Mosquée de Clichy-sous-bois. *Une commission d’enquête indépendante*, comportant des représentants des habitants et des acteurs de terrain doit être formée et dotée de moyens réels, pour mettre en lumière les agissements de la police tout au long du déroulement des évènements.

L’instauration de *l’état d’urgence renforce* de manière scandaleuse *l’isolement et l’enclavement organisés des quartiers populaires*. Il doit y être mis fin sans délai et la liberté de circulation des habitants des quartiers doit être restaurée et garantie.

Les dispositifs « sécuritaires »* institués par les lois Perben, Sarkozy, Chevènement, Vaillant, doivent être supprimés ; les textes qui les instituent doivent être retirés.

Nous exigeons la mise en place d’une politique résolue de lutte contre les *discriminations* dans tous les domaines et de *mesures immédiates contre la précarité* , le chômage et la ghettoïsation : la création d’emplois stables et valorisants, tant publics que privés ; la garantie d’une égalité réelle en matière d*’éducation et de formation* ; la mise en place de mesures d’amélioration des *conditions de logement* et du cadre de vie dans les quartiers populaires , ce qui passe notamment par la garantie de transports en commun dignes de ce nom et gratuits ; le droit de vote et la *citoyenneté* de résidence pour les non-français et la *régularisation* de tous les sans-papiers.

Nous invitons par ailleurs, partout où c’est possible, à l’organisation de débats et de *réunions publiques*, à la prise des dispositions nécessaires à la *convergence de l’action* en vue de faire plier le gouvernement.

Fait à Paris le 9 Novembre 2005

Contacts : Mouvement des Indigènes de la République Tél. : 06-18-92-76-15 ; E-mail : contact@indigenes.org ; site Internet : www.indigenes.org

Je suis une racaille, par Marc Hatzfeld LEMONDE.FR | 10.11.05 | 13h32 • Mis à jour le 10.11.05 | 13h32

Je fais partie de ceux qui observent le déroulement des événements de Clichy-sous-Bois avec un mélange d’inquiétude et de secrète impatience. C’est bien sûr l’inquiétude qui prévaut car on sait les effets des émeutes urbaines sur les habitants des cités qui les ont déclenchées et subies à la fois. Au-delà des dégradations considérables de leur environnement immédiat, c’est pour les habitants des cités en flammes, la crainte qu’un des leurs ne prenne pour de bon une grenade en plein visage, qu’il soit attrapé et reçoive pour l’exemple la punition collective, que la cité soit mise sous surveillance pendant les années à venir et que l’adresse à laquelle on habite en devienne plus infamante que jamais. Toutes les cités qui ont été l’objet du zoom télévisuel lors de ces lumineuses batailles du soir souffrent dix ou quinze ans plus tard des effets dégradants sur leur existence quotidienne d’une attention médiatique éphémère. Nous savons surtout fort bien que le mécanisme de la relation de l’action politique à sa qualification est tel que, tant que ces émeutes ne prendront pas la figure superbe d’une révolution que seul son succès politique légitimerait, ce sont les habitants des cités dans leur ensemble et ceux qui ont agi en particulier qui en paieront les frais par des peines de prison et un opprobre accru pour des actes forcément coupables, nécessairement coupables. La matière des révolutions qui changent le sort des hommes est faite des soubresauts de révoltes sauvages et incertaines. L’impatience secrète repose donc - et en revanche - sur l’espoir qu’en dépit des souffrances prévisibles, peut-être, enfin quelqu’un prendra au sérieux le risque pris par les jeunes de Clichy et d’ailleurs pour faire entendre une colère qui dépasse largement la mort tragique de leurs amis.

Il est en effet difficile de ne pas voir dans ces émeutes le moment à peine plus aigu d’une révolte annoncée depuis longtemps et toujours différée par l’habile maîtrise par l’Etat d’une pondération subtile de la logique policière et de procédures sociales. Depuis quarante ans, l’Etat joue avec brio de cette perverse combinaison qui maintient la tension sociale à un niveau précisément tolérable. Commençons par la logique policière.

La première mesure de logique policière a été de bâtir les cités d’habitat social à l’écart des villes. Bien sûr, un boulevard de bonnes intentions menait à ce projet urbain radical : on allait construire des logements confortables et hygiéniques pour les familles populaires, on allait même mêler ces familles avec la classe moyenne française dans deux intentions fort généreuses, l’une de mixité sociale et l’autre d’accès à la propriété. Mais quelques sentiments malins ont vite eu raison de ces belles promesses. La peur des rouges à une époque de guerre froide a d’abord justifié que l’on préfère installer un peuple alors fort turbulent à l’écart des centres urbains. Puis lorsque ces cités se sont remplies d’une immigration économique et exotique racolée par les industriels, un consensus silencieux s’est fait pour persévérer dans cette mise à l’écart topographique qui offrait l’avantage d’ignorer ce que faisaient ces gens-là dans leurs tours de béton et d’en éviter la pénétration dans les centres villes opulents. Pour la première fois dans l’histoire des villes, on bâtissait pour les pauvres des caricatures urbaines dans des lointains, installant ces pauvres dans des situations d’exil ou de relégation comme l’ont noté quelques analystes courageux : de la punition préventive de fait.

La seconde manifestation de logique policière a été, pendant près de trente années, la diffusion par un concert des médias et des politiciens nationaux, d’une sourde rumeur prétendant à la dangerosité des populations habitant les cités. Dès les premiers succès électoraux du Front national, la mouvance néo-gaulliste d’abord, puis la mouvance de gauche lors d’un fameux congrès d’Epinay, ont considéré que l’électorat indécis méritait bien l’entretien savant d’une confusion entre le sentiment d’insécurité et une réelle dangerosité. Il en est résulté l’escalade verbale puis législative à laquelle tous les gouvernements et beaucoup de média ont contribué, nourrissant d’inquiétudes supplémentaires à chaque fait divers une peur construite de toutes pièces. Pendant toute cette période et jusqu’à aujourd’hui, l’impression a prévalu qu’une grande part de la population des cités vivait de rapines, de vente de drogues, d’escroqueries, bref que ce n’étaient que tricheurs, voleurs, bagarreurs et bonimenteurs méritant que l’on envoie la brigade anti-criminelle ou les CRS sur chaque incident. Les effets de cette surenchère ajoutent à l’isolement des populations des cités : beaucoup plus que les autres habitants du pays, ils subissent le chômage ravageur d’une société qui n’offre d’opportunités de travailler que dans l’introuvable emploi salarié. La peur a maintenant largement contaminé l’emploi : les chances de trouver un emploi lorsqu’on est un garçon d’origine maghrébine ou africaine et que l’on avoue habiter aux Bosquets ou aux Trois-mille sont quasi nulles. Venant d’une autre cité avec le même visage, les chances sont infimes. On essaie toujours quelques mois, mais on adopte alors par nécessité et par dépit le profil que la rumeur vous assigne : on dénigre, on renonce, on décroche, on enrage, on se débrouille autrement. Un chômage massif combiné avec le discours sécuritaire indiscuté ont créé les conditions d’un désespoir devenu total, désespoir soutenu par les échecs scolaires, les refus du droit de vote, la désertion des partis politiques du terrain des cités et les flonflons égalitaires des discours électifs.

En regard de la logique policière, l’Etat social a mis au point ce qu’il appelle lui-même ses filets de sécurité, une architecture extrêmement complexe de dispositifs allant des allocations familiales, de parent isolé, de handicapé ou de logement aux indemnisations du chômage et aux protections de la Sécurité sociale - sans omettre bien sûr les considérables investissements de la politique de la ville depuis 1982. Il ne fait pas de doute que, faute de ces allocations, aides, soutiens financiers et techniques, les habitants des cités auraient la faim au ventre et seraient soumis à des tentations encore plus transgressives. Cependant notre vieille tradition caritative est encore vivace : on ne pouvait et on ne peut laisser ces quelque huit à dix millions de personnes sans ressources. Mais les effets pervers de ces mesures très précisément dosées pour éviter le pire tout en maintenant la tension sont aussi dévastateurs à terme qu’ils sont indispensables dans l’instant. Aucun discours ne manque de souligner que ces aides sont conditionnelles et que les populations qui en bénéficient sont faites d’assistés, traduisez de nuls.

La surveillance, la suspicion, les vexations verbales et administratives qui accompagnent les dispositifs prennent la forme d’un harcèlement moral de tous les instants. Sans cesse il faut ajuster son discours aux exigences de la mesure, prouver sa détresse, simuler souvent, mentir parfois, se plaindre explicitement, faire la queue des heures et attendre des mois - voire des années - des promesses de logement ou d’emploi lâchées comme des aumônes. Chaque habitant pauvre de la banlieue se reconnaît sans équivoque dans les réprimandes à l’assistanat proférées par les donneurs de leçons depuis leurs confortables arrondissements. La honte majeure étant d’ailleurs de faire vivre sa famille non de son travail mais de l’aumône instituée. Les filles des cités, plus courageuses souvent et plus enclines aux compromis, évitent parfois les affres des échecs scolaires, les refus à l’embauche et les files d’attente des Assedics ; mais les garçons tombent souvent dans un piège auquel il est difficile d’échapper. A force de rejets, ils refusent en bloc le système qui ne leur laisse le choix qu’entre l’humiliation et la soumission. Ils tournent en rond dans la cité comme des fauves blessés.

Pourtant, tous ceux qui vivent dans les cités, tous ceux qui s’y intéressent de près savent que la très grande majorité des habitants des banlieues française, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes de toutes origines, est fidèle à l’ordre dit républicain, fort éprise et fière de la France, attachée à la loi dont elle attend les mêmes vertus éducatives et protectrices que tout le monde, sincèrement adhérente même à la laïcité en dépit d’éventuelles racines confessionnelles. Beaucoup des acteurs qui travaillent dans les cités qu’ils soient élus locaux, enseignants, policiers, juges ou éducateurs savent parfaitement la détermination des habitants des cités et en particulier des jeunes garçons, au fond de leur cœur, de faire partie de cette France dont ils déplorent qu’elle ne sache pas leur parler et, plus par lâcheté d’ailleurs que par cynisme, qu’elle ne les considère pas. La plupart de ces acteurs et d’abord les maires de ces villes font ce qu’ils peuvent au jour le jour pour inviter, d’une façon ou d’une autre, les habitants des cités dans la Cité républicaine. Mais qu’on vienne à les assimiler à la crasse qui les entoure pour parler de Kärcher ou qu’on les traite indistinctement de racaille, ils voient rouge. Non qu’ils soient choqués par des mots qu’ils utilisent eux-mêmes ; mais parce que leur usage en l’occurrence révèle les confusions d’une incompétence épaisse, une sottise politique exaspérante, des recherches d’effets qui les tournent en occasions médiatiques, ça fait plusieurs générations que ça dure, ça suffit comme ça !

Je dois dire que si j’en étais, j’aurais la colère moi aussi, je partagerais leur révolte face à cette alliance de l’injustice installée et des effets du spectacle. Viendra-t-il un jour une personnalité politique pour revendiquer que les gens des cités en général et ceux qui viennent de loin en particulier sont avant tout non pas un problème mais une ressource démographique, d’imagination, de culture, d’audace, de compétences, qu’ils sont une richesse considérable et qu’ils font partie de l’aventure commune du pays ? Face à ces jeunes garçons qui risquent ce qui reste de leur existence quasi perdue pour faire apparaître leur cité pourrie, leur destin déglingué et leur jeune vigueur au journal de vingt heures, je suis aussi une racaille, je suis de leur côté non sans inquiétude mais sans hésitation. Après tout, ce sont d’autres révoltes populaires qui ont fait de ce pays un pays libre et tenté jusqu’à ce jour sans grand succès d’en faire un pays hospitalier et fraternel.

Marc Hatzfeld est auteur du Petit traité de la banlieue, Paris, Dunod, 2004.

Marc Hatzfeld


Répondre à cet article

Forum